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l’éducation politique

Les principes de l’éducation politique dans la pensée islamique


par le Dr. Abdulaziz Othman Altwaijri

Directeur Général de l'ISESCO

 

L’éducation politique découle de l’essence même de la religion islamique et fait partie intégrante des principes constitutifs et des finalités de la Charia. En effet, l’islam inscrit l’éducation islamique au cœur de sa philosophie, de son dispositif réglementaire et de ses enseignements spirituels. Elle est, de ce fait, une composante fondamentale du système de valeurs autour duquel s’organise la Charia islamique, dont l’application des principes oriente et l’individu et la communauté sur la voie du salut.

 

Compte tenu la largeur de ses vues et de son approche qui font de lui un modèle de vie complet, l’islam inclut évidemment la notion d’éducation islamique et en fait une articulation majeure de sa conception générale de l’éducation. Il serait, donc, aberrant de faire une quelconque distinction entre l’éducation politique, l’éducation morale islamique, l’éducation de l’individu et celle de la société. Car ces notions se rejoignent dans le cadre de l’unité de l’approche islamique et de son appréhension globale de la vie des hommes, des communautés et de l’univers.

 

Partant de cette interdépendance qui lie les uns aux autres les principes de l’éducation en islam, la théorie politique a été structurée sur les valeurs éternelles de l’islam, dont on peut énumérer quelques unes se rattachant au volet de la politique :

 

A) L’islam, qui est à la fois une croyance et une charia (dispositif légal et réglementaire), règle les détails de la vie spirituelle et matérielle. Il est foi et action, éthique et conduite. Il a établi les règles générales qui embrassent tous les volets de la vie. De ce fait, l’islam rejette l’adage qui “rend à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César ”, considérant que c’est là un principe qui heurte l’essence même de la religion islamique qui érige Dieu en principe absolu de cet univers. Hommes, vie et univers sont la propriété incontestée de Dieu.

 

B) L’islam n’a pas abandonné la vie dans l’ici-bas à l’anarchie et n’a pas laissé la communauté des hommes sans des règles qui régissent leur vie et confortent les fondements de la vie communautaire. Il a, en effet, veillé à l’organisation des relations sociales au sein de la famille, de la communauté et de la société. C’est dans cet esprit que le prophète Mohammed, paix et salut soient sur lui, a assis les piliers de la première société musulmane. Ainsi naquit le premier Etat islamique, avec pour constitution les commandements du saint Coran d’abord, puis les règles générales puisées dans la révélation faite au prophète -paix et salut soient sur lui- et les enseignements tirés de la vie de tous les jours et de l’expérience née de la prime genèse de la société islamique. Investi de plusieurs pouvoirs politique, administratif, financier et judiciaire, le prophète a été, outre sa mission d’envoyé de Dieu, le fondateur et le chef de l’Etat islamique. C’est ainsi que le premier Etat islamique de Médine est resté toujours un modèle à suivre pour les musulmans au fil des âges.

 

C) Bien que dépositaire d’un système de vie global, l’islam n’en a pas pour autant proposé des règles précises et détaillées du mode de gouvernement de l’Etat et de son dispositif économique, social et administratif. Il s’est suffi à décréter les principes généraux, les dispositions légales et les orientations, dont l’observation mène tout droit au salut et à la félicité dans le monde de l’ici-bas et de l’au-delà. De fait, l’islam a garanti à l’homme la liberté de pensée qui lui permet de construire des théories et d’imaginer des plans d’action pour la gestion de sa vie et des affaires de l’Etat et de la société, en conformité avec les prescriptions générales de la religion. C’est là une forme d’hommage que l’islam rend à l’homme en lui donnant toute la latitude de déployer son imagination et sa créativité et de prendre en considération les particularités de son temps et l’importance de ses ressources propres.

 

Le prophète -paix et salut soient sur lui- a su jeter les bases d’une société unifiée et chapeautée par un Etat unifié. Le système de gouvernement qu’il a mis en place a été servi de plate-forme aux gouvernements qui lui avaient succédé. En s’inspirant toujours de ce modèle pionnier. Ses califes ont mis sur pied d’autres matrices politiques pour le compléter. L’expérience de la gestion des affaires de l’Etat s’agrandissait alors au fil du temps pour donner enfin lieu à la théorie politique islamique.

 

D) L’approche islamique de la vie se caractérise par sa flexibilité qui est en harmonie avec l’essence humaine. C’est pourquoi l’islam s’est gardé d’imposer aux hommes un système figé pour la gestion des affaires générales et d’imposer un canevas de gouvernement réducteur. En se défendant également de constituer des règles immuables pour l’organisation des Etats et des gouvernements, il s’est suffi à instaurer un “cadre général” de la société ou un “système général” de l’appareil d’Etat. Ces deux schémas s’inspirent des principes intangibles de la charia islamique, puisés dans le saint Coran et la Sunna avérée du prophète. Il s’agit en l’occurrence de la justice, de la choura (concertation) et de l’égalité dans l’exercice des droits et l’accomplissement des devoirs. Dans le même ordre d’idées, l’islam a laissé aux hommes toute la latitude de régler leur conduite en fonction des intérêts des individus et de la communauté et à la lumière de ces principes génériques.

 

Aussi, le système de gouvernement islamique repose-t-il sur un dispositif de principes fondateurs qui sont loin d’être figés. Il marque ainsi son exception par rapport aux régimes totalitaires qui confisquent aux citoyens le droit à la créativité en matière de politique et au façonnement de leur devenir et des règles de vie.

 

C’est pour cela que la pensée politique islamique doit être vivace et évolutive pour pouvoir s’adapter aux changements du temps, tout en s’inspirant du cadre général islamique.

 

Parce qu’elle découle de cette matrice de principes, la conception islamique de la politique, qui vise l’instauration de la justice au sein des sociétés islamiques, est empreinte d’humanisme, d’ouverture et de flexibilité. Elle se caractérise aussi par sa capacité à se renouveler en permanence et à suivre les évolutions qui rythment la vie sur terre.

 

Nombreux sont les Oulémas et les intellectuels musulmans intéressés à l’élaboration théorique de la doctrine politique islamique, qui se sont accordés à désigner cette doctrine par le vocable de “politique religieuse”. Une telle appellation montre que cette doctrine est mise au service des intérêts des individus et du pays tant dans le monde de l’ici-bas que dans l’au-delà. Ils ont énoncé le principe selon lequel cette politique religieuse se conçoit en fonction de l’intérêt général. Certains docteurs de loi religieuse musulmane sont même allés jusqu’à ériger la théorie des “intérêts courants” en source de la réglementation religieuse, en ce sens que la loi de Dieu consacre de tout principe qui permet de préserver les intérêts de la Oumma. Autrement dit, c’est l’intérêt qui détermine l’œuvre de législation en matière de gestion politique. Ceci est d’autant plus vrai que ce principe fondateur procède d’une approche qui prend en considération les valeurs humanistes et les réalités existantes, loin de tout figement.

 

L’élaboration des fondements islamiques de la pensée politique se retrouvent dans une littérature abondante qui est l’œuvre de savants arabes et musulmans. Une œuvre qui a été conduite bien avant la naissance du mouvement de pensée qui a abordé la problématique politique en Europe, en tant que discipline faisant partie des sciences humaines. Citons de ces œuvres le traité d’Ibn Qotayba intitulé “Al-Imama wa Siyassa”, “Al-Ahkam Assoltaniyya” de son auteur Al-Mawardi, “Al-Ahkam Assoltaniyya” de Ibn Yaali Al-Firae, “la politique religieuse fi Islah Arrai wa Arraiyya” d’Ibn Quayyim Al-Jouziyya, “Siraj Al-Molouk” de Tartouchi, “Attibr Almasbouk fi Nassihat Al-Molouk” d’Al-Ghazali, “Al-Fakhri fi Al-Adab Assoltaniyya” d’Ibn Attaktouki et“Badai Assilk fi Tabaie Al-Molk” d’Ibn Al-Azrak. Quant à Ibn Khaldoun, il a inclus dans son Introduction des réflexions profondes et pénétrantes sur la politique, selon une approche scientifique empreinte de rigueur et de clairvoyance. C’est d’ailleurs cette doctrine politique qui lui a valu de compter parmi les plus éminents précurseurs de la pensée politique, sociale et architecturale du monde entier.

 

En sus de cette littérature particulièrement abondante, la pensée politique islamique a recouvert une multitude de courants et de doctrines, notamment ceux ayant trait à la question du califat et des critères de choix du chef de l’Etat, ainsi qu’à d’autres problématiques connexes qui ont fait l’objet de nombreuses polémiques. De notre part, nous appréhendons cette grande diversité qui a marqué l’histoire de la pensée politique islamique dans une optique diamétralement opposée à celle que préconisent la plupart des chercheurs contemporains, qu’ils soient arabes ou orientalistes. En effet, nous estimons que la différence d’opinions en matière de politique, responsable de la diversité des approches politiques islamiques, témoigne de la vitalité et de la fraîcheur du système islamique. C’est l’expression patente du génie musulman et du dynamisme de la société islamique et la négation du figement et de la résistance au progrès intellectuel.

 

Il est souhaitable d’énoncer dans le détail les principes et les règles du gouvernement et de la pratique politique qui ont présidé à l’instauration du premier Etat islamique, du temps du prophète. Pour cela, il convient de citer un certain nombre d’orientalistes, notamment des orientalistes allemands qui ont émis des jugements équitables à ce sujet.

 

Ainsi, Dr V. Fitzgerald a dit:

 

“Non seulement l’islam est une religion mais aussi un système politique. Même si vers la fin du vingt et unième siècle les voix de certains musulmans prétendument modernistes se sont élevées pour prêcher la séparation des deux volets, l’islam n’en reste pas moins fondé sur l’intime corrélation de la politique et de la religion, qu’il serait aberrant de dissocier”. Plusieurs d’entre eux ont fini par désavouer leurs prétentions.

 

M. C.A. Nallino affirme à son tour:

“ Mohammed a fondé une religion et un Etat qui se sont toujours chevauchés de son vivant ”.

 

Quant au Dr Shacht, il soutient :

“Plus qu’une religion, l’islam propose des théories juridiques et politiques. C’est somme toute un système complet qui englobe, en sus de la culture, religion et politique”.

 

Pour sa part, M.R. Strothmann affirme :

“L’islam est un fait religieux parce qu’il a été fondé par un prophète qui s’est distingué par sa sagesse en tant que politique (ou comme chef d’Etat).”

 

Et M. D.B. Macdonald, d’affirmer à son tour:

“Ici,-je veux dire à Médine-, le premier Etat islamique a vu le jour et la législation islamique était née”.

 

Pour sa part, Sir T. Arnold affirme:

“Le prophète était à la fois chef spirituel et chef d’Etat”.

 

A son tour, M. E. Gibb avance ce qui suit:

“Lorsque qu’il parut évident que l’islam n’était pas qu’un simple réceptacle de prescriptions religieuses destinées à l’individu, mais un système complet qui appelle la mise en place d’une société indépendant dotée de son propre mode de gouvernement, de ses propres lois et ses systèmes endogènes.”

 

Ce sont là autant de témoignages qui émanant d’éminents penseurs de l’Occident et qui attestent que l’islam est à la foi un système politique et une matrice religieuse. Il ne peut y avoir d’Etat sans théorie politique qui prenne forme dans la réalité et sans principes constitutionnels et sans éducation politique à laquelle les individus sont initiés au sein de la société.

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