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L'Expansion Islamique: idées reçues et réalité historique

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Par André Miquel 

Professeur au Collège de France 

Souvenons-nous c’était notre enfance. Nous descendions des Gaulois qui semblaient être là depuis toujours, la preuve, c’est que le pays s’appelait la Gaule. 
Mais venaient les intrus les Romains, dont on s’accommodait (il fallait bien puisqu’on allait parler leur langue), les Francs, dont on devait porter le nom mais que normalement, on digérait assez bien : Clovis, son baptême et son vase se profilaient déjà à l‘horizon. 
Les autres n’avaient pas de chance, ni ces Huns, modèle de férocité et pourtant disparus de la scène en un jour, quelque part du côté de la Champagne, ni les Arabes : avec ceux-ci, et grâce à Charles Martel, finissait l’ère des invasions. 

Enfin, on était entre soi et les guerres, Dieu merci, allaient pouvoir se jouer entre voisins. 
Pourtant, cette dernière «invasion» n’est pas une conquête comme les autres. Le mot qui la désigne, c’est «l’ouverture», celle du monde, le plus vaste possible, à quelque chose de nouveau qui est l’Islam. 
Changeons de camp au bénéfice de la vérité historique. 
Que voyons-nous ? 
Mohammad (SAW) , le Prophète, mort, l’Islam crève définitivement les frontières de son Arabie natale. Un siècle après, soit vers le milieu du VIlle, il s’étend de l’Espagne à l’Indus et de l’Asie Centrale au Sahara. 
Le petit garçon (il était lycéen, en sixième ou cinquième, je ne sais plus très bien), s’il regardait la carte, comparait immédiatement cet empire à ceux d’Alexandre ou de Rome. Il n’avait pas tout à fait tort par bien des traits, l’organisation temporelle mise en place par les nouveaux participants à l’histoire du vieux monde rappelait les Etats qui l’avaient précédée. Mais comment tout cela s’était-il passé ? 
Il était facile d’imaginer, pour l’éclosion de ce domaine immense, toute une geste de fureur guerrière, de grands capitaines, de savantes stratégies. 
De fait, l’Islam eut ses batailles, ses chevauchées, ses étendards, ses faits d’armes et ses génies militaires. 
Là pourtant s’arrêtent les comparaisons possibles : car cette histoire a ses secrets, ses mystères même, et l’Histoire, ce petit garçon qui n’en finit pas de grandir, ne les découvre que peu à peu. 
Pas toujours. 
Voici le plus grand d’entre tous. 
D’un côté, quelques troupes d’hommes à l’équipement rudimentaire des arcs, des flèches, des lances, des épées ; de l’autre, des armées puissantes, lourdement et savamment organisées, pourvues de traditions séculaires. 
Ici, un pays pauvre, l’Arabie, avec de grands espaces vides ; là, les terroirs de vieille civilisation, les vallées des grands fleuves, Egypte ou Mésopotamie, les plaines syriennes, les rivages actifs de la Méditerranée. 
A qui va la victoire ? 
Au moins nombreux, au plus pauvre. 
Et tout cela d’entrée de jeu. 
Et tout cela consommé en l’espace d’un siècle!

LA FOI ET LE TEMPOREL


Un des moyens éprouvés pour expliquer le miracle, on le sait, est de le nier. L’histoire, à l’occasion, ne s’en est pas privée, prenant ici le contre-pied systématique d’une autre position, celle qui, en Islam, voit dans l’expansion du message coranique le résultat de la seule foi, du seul enthousiasme des croyants, forts de l’appui que leur prête Dieu. 
La vérité? 
Elle oblige à dire, d’abord, que, sans la foi, cette histoire ne se fût peut-être pas jouée, du moins pas à cette échelle. Si nous ne contestons guère, dans les progrès du christianisme, la part qui revient à la ferveur de ses premiers adeptes et martyrs, pourquoi refuserions-nous à l’Islam d’avoir été le premier moteur de Sa propre histoire ? Elle abonde assez en témoignages pour que nous ne la traitons pas sur ce point à la légère ou avec mauvaise foi. 
Restent les conditions réelles, les formes que la nature ou les hommes donnent au message et qui aident à l’inscrire dans le siècle. 
Réglons le cas d’une hypothétique et brutale aggravation du climat, qui aurait jeté au dehors, par tribus entières, un peuple près de basculer dans la famine. 
On ne voit guère, en effet, que l’expansion de l’Islam ait, fût-ce provisoirement, vidé l’Arabie de ses habitants. C’est ailleurs qu’il faut chercher les conditions de la première poussée, hors du pays des origines. 
Nul doute que le credo coranique et le souvenir du Prophète n’aient réussi ce qui avait été impossible jusque là unir les tribus en leur donnant une même ambition, en sublimant les vertus bédouines traditionnelles dans la lumière de la foi nouvelle, en ouvrant à la mobilité native du nomade un champ nouveau et presque infini, comme si les espaces du raid et le goût de la course libre et les horizons du désert s’étaient ouverts à la mesure de la terre. 
Histoire de nomades et de sédentaires ? 
Oui, en un sens, à condition d’ajouter qu’ici, la tradition des steppes se double d’une autre, résolument urbaine celle-là : l’Islam, ne l’oublions pas, est né, s’est fortifié, organisé dans deux villes, la Mekke et Médine. 
Un des premiers soucis des conquérants sera de fonder, un peu partout, des cités qui, avant d’être les symboles et les pivots d’une civilisation nouvelle, fonctionneront comme relais d’un Islam encore jeune et soucieux de tenir les pays gagnés à sa cause.
Kûfa, Bassorah, le Caire, Kairouan et tant d’autres.

UN RALLIEMENT DES COEURS 
Grâce à sa cause...


A quoi servent la prudence militaire, l’organisation de la ville et de l’Etat, Si les coeurs ne sont pas gagnés ? 
On ignore souvent le sens exact du fameux mot de jihâd, systématiquement traduit par guerre sainte et qui, en réalité, renvoie à «l’effort» du croyant pour prêcher l’exemple, avant tout, et en faisant rayonner sa foi, pour susciter chez les hommes le désir de la conversion. 
L’autre jihâd ne vient qu’ensuite, armé, mais lorsqu’ont été épuisées les procédures de conciliation et d’argumentation. 
Aux païens de se soumettre. Aux adeptes, d’une religion révélée, juifs ou chrétiens, de reconnaître l’autorité du nouvel Etat. Moyennant quoi, et versement d’une taxe appropriée (d'autant qu'ils sont exonérés de l'aumône rituelle, la Zakaate), ils garderont le droit de pratiquer leur croyance et de relever, pour les affaires n’excédant pas les limites de leur communauté confessionnelle, de l’autorité qui la régit, rabbin ou évêque. 
Le statut accordé aux juifs et aux chrétiens est sans doute, en plein Moyen Âge, exemplaire, mais il n’est qu’un des signes parmi d’autres d’une attitude d’ensemble de l’Islam, l’une des clés majeures de son succès au plan temporel, il a bouleversé le moins possible, s’est superposé plus qu’imposé, coulé, chaque fois qu’il l’a pu, dans les vieilles habitudes de l’Orient méditerranéen et de la Perse. 
Bref, il a voulu être, aussi peu que possible, l’étranger, l’intrus. 
Mais l’était-il ? 
Qui dit invasion dit barbare, inconnu surgi du fond de l’horizon et qui vient ruiner la vie du civilisé. 
Or, ces Arabes n’étaient, eux, jamais restés confinés tout à fait à leur Péninsule. Caravaniers, marchands, on les connaissait dans les cités riveraines du désert, en Egypte, en Syrie, en Irak. Byzance et la Perse sassanide avaient même installé, aux lisières de leur mouvance, des royaumes vassaux et arabes. L’arrivée des gens de la Péninsule, après l’Islam, change, de signification, à travers la quantité même d’hommes maintenant engagés hors du désert et, bien entendu, à travers le credo dont ils sont porteurs..Mais si le mouvement, dirait-on, s’emballe, il ne s ‘inscrit pas comme une rupture totale avec les habitudes du passé : de ces horizons des villes méditerranéennes ou irakiennes, les Arabes ont toujours fait partie. Leur nombre est une nouveauté, ils parlent maintenant un langage nouveau mais ils ne sont pas, tant s’en faut, des nouveaux venus.

LA RESURGENCE DE VALEURS AUTHENTlQUES


Ils le sont d’autant moins que, par leur message même, ils continuent d’incarner quelques-unes des plus vieilles croyances de l’Orient. 
Face aux subtilités et aux divisions du christianisme, ils rappellent l’unicité de Dieu, celle-là même dont l’affirmation avait conduit l’hérésie arianiste à faire de Jésus un homme et rien qu’un homme, au demeurant des plus grands. 
Image et doctrine que l’Islam conservera. 
Face à Byzance et à l’influence grecque, face à des sociétés hiérarchisées, l’Islam, fils d’Orient, et son message égalitaire, fondé sur une société de croyants frères, vont être reçus comme la résurgence de valeurs authentiques, nées sur place et jetées à la face de pouvoirs, de formes de civilisation et de pensée venues du dehors. 
L’expansion de l’Islam allie ainsi la puissance d’un credo, le respect de ce qui peut être conservé et la souplesse dans l’organisation de la société. 
Ajoutons, à ces gages de succès, la potentialisation engendrée par les conversions. Toutes ces conversions sont autant de relais ; les nouveaux musulmans vont aider les anciens à aller plus loin, jusqu’à ces limites que nous évoquions tout à l’heure les Berbères permettront de passer le détroit de Gibraltar, les Iraniens de pénétrer en Asie Centrale. Sans aller jusqu’à affirmer, comme le fit un historien pour l’Espagne, que les nouveaux territoires se sont ralliés, et pour ainsi dire conquis, d’eux-mêmes, aucun doute c’est aux nouveaux convertis, à leur connaissance du pays et des hommes, que l’Islam doit d’accéder à un statut mondial, sur des terrains et en plein coeur des cultures bien différentes, au départ, de l’Arabie natale. 

Vision idyllique des choses? 
Cette conquête ne va pas sans affrontements, batailles, sang versé, bavures même. Moins pourtant, beaucoup moins, il faut y insister, que toutes celles qui sont, pour nous, synonimes d’invasions ou d’empires. 
Avant d’être conquérant, l’Islam avait mis de son côté de quoi se faire agréer, accepter. 

Nous sommes des Occidentaux, fils d’une civilisation autre et complémentaire à la fois. Apprenons, avec le petit garçon d’aujourd’hui, à lire, sur l’atlas de l’Histoire, une autre carte de la Méditerranée et de l’Orient.

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