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L'Islam et les autres religions

L’islam estime que toutes les religions procèdent d’une même source : Allah. De ce fait, elles conservent malgré les péripéties de l’histoire une morale et des valeurs communes. Quand bien même les voies et les moyens diffèrent, les religions - plutôt la religion car en principe il n’y a qu’une seule religion- ont essentiellement pour but d’assurer à l’homme le bonheur ici-bas et dans l’au-delà.

« Il vous a légiféré en matière de religion, ce qu’Il avait prescrit à Noé, ce que Nous t’avons révélé à toi-même, ce que Nous avions prescrit auparavant à Abraham, à Moïse et à Jésus : « Etablissez la religion et n’en faites pas un sujet de divisions. » s42 v13

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L’Islam et les autres religions

L’attitude de l’Islam vis-à-vis des religions est loin d’être négative.

L’islam estime que toutes les religions procèdent d’une même source : Allah. De ce fait, elles conservent malgré les péripéties de l’histoire une morale et des valeurs communes. Quand bien même les voies et les moyens diffèrent, les religions - plutôt la religion car en principe il n’y a qu’une seule religion- ont essentiellement pour but d’assurer à l’homme le bonheur ici-bas et dans l’au-delà.

« Il vous a légiféré en matière de religion, ce qu’Il avait prescrit à Noé, ce que Nous t’avons révélé à toi-même, ce que Nous avions prescrit auparavant à Abraham, à Moïse et à Jésus : « Etablissez la religion et n’en faites pas un sujet de divisions. » s42 v13

Il ressort de ce verset que toutes les religions ont Dieu pour origine. Et la religion qui a commencé par Noé s’est achevée par Mohammed, embrassant sur son chemin des messages et des prophètes dont les plus importants sont Abraham, Moïse et Jésus (Paix et Salut sur eux tous).

La foi des musulmans englobe la croyance en tous les prophètes d’Allah ; en tous les Livres descendus sur eux dans leur état originel avant que l’altération ne les affecte, cette croyance est enseignée par Dieu lui-même qui dit :

« Le Messager a cru en ce que son Seigneur a fait descendre sur lui ainsi que les croyants : tous ont cru en Allah, en Ses Anges, en Ses Livres et en Ses Messagers, sans faire aucune distinction entre Ses Messagers ». Et ils ont dit : « Nous avons entendu et obéi. Seigneur, nous implorons Ton pardon, car c’est vers Toi que sera le retour ». s2 v285

Et Il a ordonné, Gloire à Lui, ceci :

« Dites : Nous croyons en Allah, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux tribus, à ce qui a été donné à Moïse et à Jésus ; à ce qui a été révélé aux Prophètes par leur Seigneur ; nous ne faisons aucune distinction entre eux. Et c’est à Allah que nous sommes entièrement soumis. » s2 v136

L’Islam a posé des principes régissant les rapports entre les musulmans et les non musulmans. Parmi ces principes, l’équité et le dialogue figurent au premier plan. Allah a enseigné que la diversité est une caractéristique de la création et qu’elle procède de Sa seule volonté. Il dit dans le Coran :

« A chacun de vous, Nous avons établi une législation et une ligne de conduite. Si Allah avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté. Mais Il a voulu vous éprouver par le don qu’Il a fait à chaque communauté. Rivalisez donc d’efforts dans l’accomplissement des bonnes œuvres, car c’est vers Allah que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l’origine de vos disputes. » s5 v48

« A chaque communauté Nous avons institué un ensemble de rites qu’elle doit observer. » s22 v67

« Si Allah l’avait voulu, Il aurait fait des hommes une seule communauté. Mais Il fait entrer dans sa miséricorde qui Il veut. Et les injustes n’auront ni secours ni protection. » s42 v8

Dans un autre verset, Il dit :

« Et si ton Seigneur avait voulu, Il aurait fait des gens une seule communauté. Or, ils ne cessent d’être en désaccord entre eux sauf ceux à qui ton Seigneur a accordé Sa miséricorde. Et c’est bien pour être si différents qu’Il les a créés. »s11 v118,119

« Si Allah l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais Il laisse s’égarer qui Il veut et guide qui Il veut. Et vous serez certes interrogés sur ce que vous faisiez. » s16 v93

Dans le même ordre d’idées, on peut résumer comme suit les principales croyances des musulmans :

1) Toute l’humanité appartient à la même souche, à la même origine ; tous les humains ont été créés à partir d’un seul couple : Adam et Eve, dont ils sont les descendants. Ils jouissent de la même dignité. Allah dit :

« Ô Hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. Le plus noble d’entre vous auprès d’Allah est le plus pieux. » s49 v13

2) Les hommes sont égaux devant la Loi d’Allah. Il n’y a ni préférence, ni favoritisme, ni passe-droit pour le riche au détriment du pauvre, ni pour le blanc aux dépens du noir. Le seul critère de distinction est la piété et cet état d’esprit n’est connu que de Dieu seul. Donc aucune distinction n’est possible au niveau des humains. C’est pourquoi, le Prophète (Paix et Salut sur lui) parla de l’égalité de tous les êtres humains, indépendamment de leur race, de leur couleur, de leur langue ou de leur rang social. Il dit : « Les gens sont égaux comme les dents d’un peigne. » Et Il a dit : « Ô Hommes ! Votre Seigneur est Un et votre père est un. L’arabe n’a aucun mérite sur le non arabe, ni le blanc sur le noir, ni le noir sur le rouge, sauf par la piété. »

3) Les religions célestes tirent leur origine d’Allah le Très Haut. A ce titre, elles s’abreuvent d’une même source, conformément au verset coranique susmentionné :

« Il vous a légiféré en matière de religion, ce qu’Il avait prescrit à Noé, ce que Nous t’avons révélé à toi-même, ce que Nous avions prescrit auparavant à Abraham, à Moïse et à Jésus : « Etablissez la religion et n’en faites pas un sujet de divisions. » s42 v13

4) L’islam est la religion agréée auprès d’Allah. Or, l’entrée dans cette religion implique nécessairement la croyance au prophète Mohammed en tant que Messager d’Allah ayant transmis le Coran qui lui a été révélé par l’Ange Gabriel sur l’ordre d’Allah, Seigneur et Créateur de toutes choses. L’Islam est la plus sûre garantie de salut et d’entrée au Paradis, dans la mesure où c’est la Religion agréée par Allah qui dit : « La vraie religion pour Allah, c’est l’Islam » s3 v19

« Et quiconque désire une religion autre que l’Islam, ne sera point agréé, et il sera, dans l’au-delà, parmi les perdants. » s3 v85

5) L’islam considère que celui qui a cru à l’unicité de Dieu et suivi l’un des prophètes avant la mission de Mohammed est sauvé, Allah dit : « Ceux qui ont cru, ceux qui se sont judaïsés, les Sabéens, et les chrétiens , ceux parmi eux qui croient en Allah, au Jour dernier et qui accomplissent les bonnes œuvres, pas de crainte sur eux, et ils ne seront point affligés. » s5 v69

6) L’islam est la religion avec laquelle Dieu a clôturé les autres religions.

7) L’Islam n’oblige personne à l’adopter. La foi est une affaire de choix et de conviction personnelle, Allah a dit : « pas de contrainte en religion » s2 v256 « Devrons-nous vous l’imposer alors que vous la répugnez ? » s11 v28

Le rôle des musulmans est de transmettre le message, non pas pour convertir les gens à l’Islam :

« S’ils te tournent le dos, ta mission se limite à transmettre le message. »s16 v82

« Rappelle ! Ton rôle consiste à rappeler » s88 v21

« Dis : La vérité émane de votre Seigneur. Croira qui voudra et niera qui voudra ! » s18 v29

« Ce n’est pas à toi de guider ceux que tu aimes. Mais c’est Allah qui guide qui Il veut. Il est mieux à même de connaître ceux qui méritent d’être guidés. »s28 v56

« Ce n’est pas à toi de les guider, mais c’est Allah qui guide qui Il veut. » s2 v272

8) L’Islam garantit le libre exercice de tous les cultes et en assure la protection et le respect des lieux qui leur sont consacrés. 9) Les différences religieuses et culturelles ne doivent en aucun cas inciter les gens à s’entretuer ou à s’agresser les uns les autres. Ils doivent plutôt œuvrer et s’entraider pour l’accomplissement des bonnes œuvres et la lutte contre le mal et les turpitudes. Allah a dit :

« Entraidez vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et l’agression. » s5 v2

10) Les musulmans ont bien entendu le devoir de se défendre en cas d’agression contre leur dignité, leur religion ou l’intégrité de leurs territoires. En cas de victoire, la communauté musulmane ne doit pas se livrer à des actions de violence ou de représailles contre ses agresseurs en les persécutant ou en les contraignant à abdiquer leurs religions ou leurs cultures. Cette vision s’applique à l’ensemble des rapports entre l’islam et les autres religions.

A l’exception, toutefois, des gens du livre que l’Islam considère comme étant plus proches des musulmans en terme de croyances.

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Le soufisme et la France


L’époque médiévale

 L’histoire s’écrit parfois davantage en filigranes qu’en traits pleins. C‘est le cas lorsqu’il s’agit des rapports entre des voies spirituelles ou ésotériques issues de religions différentes. Si l’influence de la civilisation islamique sur l’Europe est avérée dans les domaines des sciences et de la philosophie, nous sommes par contre réduits à des « conjectures » en ce qui concerne la discipline du soufisme (tasawwuf) . A l’époque médiévale, les docteurs chrétiens d’Europe focalisent clairement leur intérêt pour les auteurs musulmans sur la pensée aristotélicienne. De Ghazâlî (« Algazel », m. 1111), ils traduisent les textes philosophiques mais non les écrits mystiques, pourtant bien diffusés en terre d’islam, et ils prennent d’Ibn Sab‘în le logicien et le philosophe, non le métaphysicien extatique de « l’Unicité absolue ». Que le maître andalou Ibn ‘Arabî (m. 1240) n’ait pas été connu en Europe avant l’époque moderne – son influence sur Dante, à ce jour, reste plus qu’hypothétique – n’est guère étonnant pour deux raisons au moins : en pays musulman même, son œuvre a circulé longtemps dans des milieux restreints, et les latins n’avaient pas les clés pour déchiffrer son langage le plus souvent hermétique. Mais que les manuels de soufisme rédigés aux Xe et XIe siècles n’aient reçu aucun écho en Europe ne cesse de surprendre. Le Catalan Ramon Lulle (m. 1315) a certainement eu accès à la littérature mystique de l’islam et côtoyé des milieux soufis, à Majorque et au Maghreb, mais sans réellement s’en pénétrer . Quoi qu’il en soit, il ne relève pas du monde français qui nous retient ici. La mystique juive médiévale, en revanche, témoigne d’une imprégnation profonde – et avouée – par le tasawwuf, au Moyen Orient, en Espagne musulmane, et jusqu’en Catalogne et en Provence. L’influence supputée du soufisme sur Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix aurait cheminé via les mystiques juifs espagnols. Par ailleurs, les sciences occultes telles que l’alchimie, l’astrologie ou l’arithmologie doivent beaucoup au monde de l’islam, mais elles ne sauraient être identifiées à la discipline du tasawwuf.

 

Dans les milieux spiritualistes contemporains, d’obédience musulmane ou chrétienne, on affirme que les voies soufies, et les groupes ésotériques d’Orient en général, auraient alimenté sur le plan initiatique des organisations correspondantes d’Europe. Si certains historiens conviennent que l’art héraldique de la chevalerie européenne a une dette à l’égard du monde musulman , il faut être plus prudent quant à l’origine islamique de la chevalerie elle-même. La futuwwa, qui jouait au Moyen Orient le rôle à la fois d’une chevalerie spirituelle et d’une initiation aux métiers, a-t-elle eu une part quelconque dans la formation de la chevalerie européenne ? Henry Corbin note d’abord que la futuwwa est œcuménique en soi car son fondateur symbolique en serait Abraham, père des trois monothéismes. Il souligne maintes fois les analogies et les concomitances existant entre cette futuwwa et la chevalerie européenne telle que celle du Temple . Plus rarement, il évoque une influence directe de l’ésotérisme islamique – soufi ou ismaélien – sur les Templiers , mais il ne fournit aucun élément historique objectif. La légende du Graal, il est vrai, telle qu’elle apparaît dans le Parzival de Wolfram von Eschenbach, écrit à l’époque de la quatrième croisade, véhicule des données provenant de plusieurs traditions ésotériques orientales . La version ‘française’ de la légende par Chrétien de Troyes, un peu antérieure à celle de Wolfram, en est, elle, cependant, totalement dépourvue. René Guénon lui aussi affirme que les Templiers auraient été en contact effectif avec les milieux initiatiques du Proche Orient et que, après leur élimination par le roi Philippe le Bel (1314), les initiés chrétiens se seraient réorganisés en accord avec les initiés musulmans . Il n’apporte, lui non plus, aucun justificatif concret. Certes, les Templiers se sont montrés plus tolérants que les autres Francs. Ainsi, un chroniqueur musulman témoigne que des Templiers sont intervenus à plusieurs reprises, à Jérusalem, pour chasser un Franc qui voulait l’empêcher de prier . On peut même admettre que l’Ordre, de militaire, soit devenu de plus en plus mystique, mais cela ne signifie pas qu’il ait été perméable à l’islam ou à son ésotérisme. Les sources arabes s’en seraient fait l’écho et, au demeurant, elles montrent que les soufis considéraient tous les Francs comme des envahisseurs et des ennemis, et qu’ils les combattaient. Les chiites ismaéliens pratiquaient entre eux la discipline de l’arcane, et on les voit mal initier des guerriers francs. Des échanges en matière de spiritualité ont sans doute eu lieu, mais les visées politiques devaient prédominer.

 

Guénon va plus loin concernant les Rose Croix – dont les modernes Rosicruciens se prétendent les héritiers – puisqu’il y aurait eu, selon lui, une sorte d’osmose initiatique entre ceux-ci et les soufis . Les premiers se seraient retirés en « Orient » au XVIIe siècle, lorsque toute possibilité de véritable initiation aurait disparu en Occident . Ailleurs, il affirme que les Rose Croix, qu’il se voit fondé à appeler « ‘‘soufis’’ européens », établissaient un contact permanent avec les soufis . Ces données relèvent plus de la métahistoire que de la discipline historique critique, mais c’est, pour notre domaine, une dimension que l’on ne peut écarter. L’intérêt de ces assertions provient aussi du fait qu’elles proviennent de René Guénon. Des affinités entre Saint François d’Assise et le soufisme, concernant notamment la doctrine de la « pauvreté spirituelle », ont été notées, d’autant plus que François s’est rendu en Egypte où il a pu échanger avec le sultan et des oulémas, mais il est italien… Des Franciscains français contemporains ont cependant écrit sur ce sujet.

 

Une des seules traces tangibles de la présence du soufisme en France à l’époque médiévale provient d’un proche du roi Saint Louis, son chroniqueur et ami Joinville (m. 1317). Celui-ci cite le Dominicain Yves Le Breton, arabisant, qui avait rencontré à Acre au XIIIe siècle une femme tenant le même langage sur l’amour divin que Râbi‘a ‘Adawiyya (m. 801), la sainte musulmane la plus renommée en terre d’islam. Cette sainte irakienne n’est pas identifiée par Joinville, mais sa figure mythifiée va nourrir le débat théologique sur l’amour de Dieu qui agite la France… au XVIIe siècle, et elle suscite l’admiration des partisans du Pur Amour : il faut aimer Dieu ni par désir de Son paradis ni par crainte de Son enfer . Pour autant, cette légende transmuée de Râbi‘a ne prouve en rien une réception positive du soufisme en France.

 

D’évidence, la présence franque au Proche Orient a permis des contacts entre chrétiens et musulmans, au gré, notamment, des alliances entre les princes des deux camps. Dans le cadre général de l’affrontement entre croisés et musulmans, cependant, le commerce des esprits ne pouvait s’effectuer que de manière discrète et orale, ce qui explique la trace infime qu’il a laissée. La guerre elle-même a été une occasion de connaissance mutuelle, et parfois de ‘‘transfert’’ religieux : un des Francs qui attaquaient Damiette en 1249 (avec St Louis : septième croisade) serait entré en islam après avoir tué un saint musulman qui lui aurait miraculeusement répondu après sa mort . Pour autant, à lire les sources arabes, de tels cas sont très exceptionnels.

 

L’époque moderne

 

Hormis quelques relations de voyageurs français ayant décrit, entre les XVIe et XVIIIe siècles, avec force partialité, les milieux des « derviches » en Orient (de Nicolay, Chardin…), ou encore la traduction française des Mille et Une Nuits par Galland, à la fin du XVIIIe siècle, où figurent les exploits des Kalandars, il faut attendre le XIXe siècle pour que le public français ait accès à une connaissance plus objective du soufisme. Le Voyage en Orient de Gérard de Nerval (1843) représente à cet égard une rupture décisive, par le témoignage empathique qu’il livre, voire la profonde fascination qu’exercent sur l’auteur les derviches du Caire et d’Istanbul.

 

Le terme occidental « soufisme » apparaît, sous la forme latine de Ssufismus, dans un ouvrage publié à Berlin en 1821. La première moitié du XIXe siècle voit se développer l’orientalisme académique, dans lequel la France occupe une place prépondérante. Le soufisme suscite dès lors un nombre croissant d’études et de traductions, centrées d’abord sur le monde persan. D’évidence, cette érudition un peu sèche n’est pas animée par une quête intérieure, comme c’était le cas chez les auteurs médiévaux , et de plus elle charrie implicitement l’idéologie de la suprématie européenne ; elle fournit pourtant une matière objective qui va nourrir les générations postérieures. Parallèlement, des officiers français des « affaires indigènes », motivés, certes, par le contrôle des populations locales, vont rédiger des rapports et des ouvrages très documentés sur les confréries maghrébines.

 

Au XXe siècle, l’orientalisme français joue un rôle de plus en plus déterminant dans la connaissance ‘‘gustative’’ du soufisme, du fait sans doute que ses plus éminents spécialistes sont eux-mêmes engagés dans une quête spirituelle. Dans leur démarche respective de chrétiens, Louis Massignon et Henry Corbin se sont alimentés à la mystique musulmane et, à leur tour, ont alimenté un public se situant à la limite entre académisme et recherche intérieure. Si leur enjeu personnel affleure souvent dans leur travail et s’il infléchit parfois leur objectivité, leur riche personnalité a contribué à diffuser la culture soufie en France. Les ‘‘soufis’’ contemporains reconnaissent également une dette à l’égard de religieux chrétiens qui ont présenté des pans majeurs du patrimoine soufi : Louis Gardet, Laugier de Beaurecueil, Paul Nwyia… Certains chercheurs ont conjoint domaine d’étude et orientation spirituelle en pratiquant l’islam soufi, tel Eva de Vitray-Meyerovitch (m. 1998) et Michel Chodkiewicz.

 

La première présence effective en France d’un soufi ou d’un groupe soufi remonte à nul autre que l’émir Abd El-Kader, qui a été retenu dans notre pays durant cinq années (1847-1852). Tous les Français qui l’ont alors approché ont été séduits par son charisme, et des documents inédits nous montrent des sœurs chrétiennes désirant le suivre jusque dans son exil spirituel en Orient.

 

Le paradoxe du colonialisme français, à la fin du XIXe siècle, est qu’il permet à quelques nationaux issus de la métropole d’échapper à la civilisation d’ores et déjà désenchantée de l’Occident, et de se ressourcer dans le « désert », ou en « Orient », comme on voudra. Ces premiers soufis français – ou de culture française – sont souvent des artistes-peintres (Etienne Dinet, Yvan Agueli) ou des écrivains (Isabelle Eberhardt). Ils souscrivent au ‘‘mythe’’ de l’Orient spirituel et l’incarnent dans leur vie et leur œuvre. Ils se rattachent à des confréries régulières, et ceux qui vivent en Algérie sont rejetés par des colons français. L’importance d’Agueli réside dans le fait qu’il a planté le premier arbre initiatique en France et qu’il a affilié Guénon à la Shâdhiliyya, en 1912, à Paris même. Le parcours – bref, puisqu’elle est morte à vingt-sept ans – d’Isabelle Eberhardt (m. 1904) est plus fantasque. Ses origines sont troubles, puisque certains attribuent sa paternité à Arthur Rimbaud. Devenue française en épousant un soufi algérien, elle pratique dûment le soufisme dans la confrérie Rahmâniyya . Même lorsqu’elle ne possède pas cette texture légendaire, la vie de ces pionniers devient par la suite un roman. Ainsi d’Aurélie Picard (m. 1933), héroïne de Djebel Amour (Frison Roche), Lorraine qui épouse en 1872 un cheikh tijâni du Sud algérien et développe la grande zâwiya après la mort de celui-ci. Autre figure féminine atypique de cette période, la comtesse Valentine de Saint Point (m. 1953), arrière petite-nièce de Lamartine qui, après avoir mené une vie excentrique en Occident, entre en islam et s’établit au Caire, où elle est proche de Guénon. René Guénon est le principal artisan de la pénétration du soufisme en France au XXe siècle. Sa pratique islamique et son appartenance soufie ont pourtant été marquées du sceau de la discrétion, mais son œuvre ainsi que la correspondance qu’il a entretenue avec beaucoup de ‘‘chercheurs de vérité’’, a déterminé l’entrée dans la Voie de nombreux Français ; ceux-ci seront souvent affiliés à la même voie-mère que Guénon, la Shâdhiliyya, qui a généralement incarné un soufisme sobre et lettré. Son œuvre formule à l’intention du public européen la doctrine de la « Tradition primordiale », d’où émanent toutes les religions historiques, et la dégénérescence de la modernité occidentale. Le « cheikh ‘Abd al-Wâhid Yahia », tel qu’il est connu en milieu musulman, établi au Caire en 1930 et décédé en 1951, continue d’exercer une influence singulière en Occident et dans quelques cercles en terre d’islam. De Guénon est issu le courant ‘‘traditionnaliste’’ du soufisme occidental, dont la figure majeure est Frithjof Schuon (m. 1998). Artiste et poète, celui-ci rédige une œuvre doctrinale puissante ; depuis la Suisse où il réside jusqu’en 1981, date de son installation aux USA, il touche surtout des intellectuels occidentaux. Son représentant initial à Paris, le Roumain Michel Vâlsan (m. 1974), lui reproche en 1950 de s’affranchir de plus en plus de la norme islamique et de verser dans le syncrétisme. A l’instigation de Guénon, Vâlsan, éditeur des Editions traditionnelles à Paris, fonde sa propre voie, centrée sur l’enseignement d’Ibn ‘Arabî. Plusieurs de ses disciples français, universitaires ou autodidactes, proposent au public des études et des traductions de textes majeurs du patrimoine soufi.

 

L’époque contemporaine

 

a) Le paysage confrérique

 

Implantée en France depuis les années 1920, la tarîqa ‘Alâwiyya, toutes branches confondues, est la voie qui a le plus marqué le soufisme français au XXe siècle. Initiée par un saint au charisme incontesté, le cheikh algérien Ahmad al-‘Alâwî (m. 1934), elle a été orientée dès ses débuts vers une ouverture au monde chrétien d’Europe, et a compté rapidement dans ses rangs des disciples français. Le cheikh ‘Adda Bentounès, successeur du cheikh ‘Alâwî, a ainsi créé l’association « Les Amis de l’Islam » en 1949 à Paris, dans le but de mieux faire connaître l’islam spirituel en Europe.

 

À partir des années 1970, on assiste à un développement très rapide de la présence du soufisme en Europe, et notamment en France. Plusieurs groupes soufis émanant des grandes voies - Shâdhiliyya, Naqshbandiyya, Qâdiriyya, Tijâniyya…- voient alors le jour. Cette expansion n’est pas une simple conséquence de l’émigration, car les cheikhs ‘‘orientaux’’ considèrent depuis longtemps l’Occident comme une terre providentielle. Constatant que la pression socio-politique qui pèse dans leurs pays peut entraver le développement individuel, ils voient dans l’Occident un espace de liberté et constatent une réelle attente dans le domaine spirituel. Des musulmans de souche, étudiants ou travailleurs, découvrent ainsi en Occident un soufisme dans lequel ils ne voyaient que superstition ou routine. Quelques maîtres ‘‘orientaux’’ s’y établissent bientôt, tandis qu’un petit nombre d’Occidentaux formés opèrent comme représentants d’un maître étranger, ou accèdent au statut de cheikh. Ainsi, le cheikh Khaled Bentounès, maître actuel de la ‘Alâwiyya, vit en France, où il s’efforce de porter le message universaliste du soufisme. La zâwiya-mère, cependant, reste à Mostaganem, dans l’Ouest algérien. F. Schuon était issu de la ‘Alâwiyya, et l’on retrouve chez lui, exprimé différemment, cet universalisme, ainsi qu’un fort impact en milieu chrétien. Il a d’ailleurs nommé sa voie « la voie de Marie », al-Maryamiyya.

 

Le monde confrérique français est très fluide, à l’image de ce qu’il est ou était en pays musulman. La Shâdhiliyya par exemple, fondée au XIIIe siècle en Egypte, est représentée par la ‘Alâwiyya et ses ramifications (dont la Madaniyya tunisienne), par plusieurs groupes provenant de la Darqâwiyya (Maroc – XVIIIe siècle), ou encore se rattachant à l’héritage de Michel Vâlsan, etc. Une voie-mère peut donner naissance à des groupes très différents quant aux options et aux modalités choisies, comme cela apparaît dans la Naqshbandiyya. Certains groupes sont volontairement discrets, tandis que d’autres affichent leur prosélytisme. La Butchîchiyya marocaine, qui se rattache à la voie-mère Qâdiriyya, consacre beaucoup d’énergie à médiatiser le message de cheikh Hamza, par le biais de sites Internet, séminaires, concerts, mais aussi des conférences assurées par Faouzi Skali, représentant de la voie connu en France. Puisque désormais « c’est le maître qui cherche le disciple », il faut toucher un public large, même non musulman.

 

Ce monde confrérique est également fluide en raison de ses origines géographiques diverses, et l’on peut dire que l’Europe, et en particulier la France, sont en train de devenir une terre de rencontre entre les différentes traditions du soufisme existant dans le monde musulman. Si l’Iran est quelque peu présent grâce aux Ni‘matullahis et aux Uvaysis, de la Turquie viennent plusieurs groupes naqshbandis, du Soudan les Burhânis, du Maghreb – hormis la grande famille shâdhilie – les Tijânis, et d’Afrique sub-saharienne les Tijânis et les Mourides. Ceux-ci ont des relais communautaires importants en France, car liés à un système complexe d’immigration du Sénégal vers la France.

 

Toute cette mouvance se prévaut d’un soufisme orthodoxe, car les affiliés restent fidèles aux prescriptions de l’islam et sont parfois versés dans les sciences islamiques. La plupart des membres gardent un lien avec l’un ou l’autre pays musulman, et effectuent des visites régulières à leur zâwiya-mère respective. La question de l’adaptation au contexte occidental n’est pas résolue dans tous les cas : parmi ceux qui ont été initiés et formés en Orient, certains ont tendance à importer des coutumes arabes, africaines ou autres.

 

D’autres groupes se sont en revanche détachés de la forme islamique pour mieux dégager, à leurs yeux, l’universalisme de la sagesse soufie. Ouvrant la porte du syncrétisme, ces groupes appellent de leurs voeux une sorte de "mondialisation" de l’Esprit. Ils participent de ce que certains appellent le « néo-soufisme », qui désigne un courant purement occidental professant un soufisme radicalement différent de celui pratiqué en pays musulman . Ses représentants sont souvent des ‘‘orientaux’’ tels qu’Idries Shah, en Angleterre, et Pir Vilayat Khan, aux USA et en France. Les adeptes du soufisme ‘‘islamique’’ les tiennent pour des charlatans, et rappellent qu’il n’y a d’initiation qu’à l’intérieur d’une forme religieuse définie. Pour eux, l’universalisme ne nécessite nul syncrétisme, car il s’énonce dans l’exploration de la révélation islamique.

 

D’une façon générale, le soufisme de France professe l’orthodoxie pour plusieurs raisons : - la religion musulmane est de plus en plus prégnante en France, et elle modèle aussi les comportements des soufis, - le soufisme de France est encore imprégné du fidéisme qui prévaut en pays musulman, - l’influence de Guénon, qui porte à l’intériorisation, reste très présente et censure des comportements de type New Age, que l’on trouve plus facilement en climat anglo-saxon.

 

b) Aspects sociaux et culturels

 

Les confréries soufies répondent à une double logique :

 

elles constituent souvent le point d’aboutissement d’une recherche individuelle, qu’il s’agisse de ‘‘convertis’’ ou de musulmans natifs découvrant le soufisme, ou redécouvrant l’islam par le soufisme. « La conversion individualise les expériences, la confrérie les rassemble ».

 

elles assurent le cadre protecteur de ces démarches individuelles, en prônant un esprit de groupe plus ou moins prononcé. Les voies où la méthode est sobre ou intellectualisée jouent moins sur ce sentiment d’appartenance confrérique.

 

Le profil social des affilés au soufisme est plus varié que celui des musulmans en général, car on y rencontre davantage de personnes atypiques, pluriculturelles par exemple, ou ayant un parcours complexe. Le nombre des ‘‘convertis’’ y est nettement supérieur : sauf dans des groupes d’immigrés repliés sur eux-mêmes, il oscille entre un quart des adeptes à …la quasi-totalité ; c’est le cas dans la Idrîsiyya du cheikh italien Abd al-Wahid Pallavicini, dont le représentant le plus connu en France est Abd al-Haqq Guiderdoni. Les ‘‘convertis’’ se situent généralement à un niveau social et intellectuel supérieur à celui des immigrés ou descendants des immigrés, mais il faudrait observer des nuances. Un petit nombre d’entre eux a donc un rôle naturel de médiation entre islam et christianisme, cultures ‘‘orientales’’ et culture française. Les disparités peuvent être gênantes au sein même d’une confrérie ; c’est pourquoi la Butchîchiyya a opté pour la séparation entre disciples d’origine marocaine et disciples de souche européenne. Les clivages peuvent être aussi générationnels, et dus à des questions linguistiques : les anciens connaissent l’arabe mais parlent mal le français, et les jeunes l’inverse.

 

Une confrérie un peu élargie a en son sein des adeptes aux profils très variés, car le charisme du cheikh, ou de son représentant, est supposé estomper ces différences. Dans l’histoire des pays d’islam, les confréries traversaient le plus souvent toutes les classes sociales. Le groupe ou la zâwiya propose d’évidence un espace de sociabilité, un réseau de solidarité, tantôt réconfortant, tantôt stimulant, et qui est assez souple pour accepter ou intégrer des êtres en recherche ou fragilisés par leurs expériences antérieures. Quoi qu’il en soit, les cheikhs demandent à leurs disciples de poursuivre leurs études, d’acquérir des qualifications et donc une reconnaissance sociale. Ils refusent que se reproduise en France le schéma d’un confrérisme populaire qui, attaqué par les salafis et les réformistes, n’a que trop nui à l’image du soufisme en pays musulman.

 

A l’échelle individuelle ou collective, les soufis se disent apolitiques, et se montrent méfiants à l’égard des idéologies. Certains se refusent à tout engagement dans la cité, considérant que leur rôle est ailleurs, mais d’autres pensent que les spirituels musulmans doivent s’investir dans la vie publique, pour susciter une alternative à l’islamisme, ou à l’islam-affairisme, et aussi pour proposer à la société moderne des remèdes aux maux dont elle souffre. Cet engagement peut bien sûr, en parallèle, servir les intérêts de la confrérie et contribuer à sa promotion. Pour l’instant, l’implication strictement politique se réduit, pour les soufis, à participer, à un niveau ou à un autre, au Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), non sans difficulté d’ailleurs .

 

Le terrain de prédilection des soufis français reste la culture. Beaucoup de groupes, déclarés en associations de type loi 1901, organisent séminaires de formation sur l’islam ou sur le soufisme, colloques, conférences et expositions, parfois à un haut niveau (Unesco, Sénat, Conseil de l’Europe, dans le cas de la ‘Alâwiyya). La dimension interreligieuse y est souvent présente . L’organe de la Idrîsiyya franco-italienne est l’Institut des Hautes Etudes Islamiques d’Embrun, qui édite des Cahiers thématiques et organise des colloques ; la ‘Alâwiyya intervient dans le cadre de Terres d’Europe, qui a remplacé Les Amis de l’Islam, et constitue un projet de fondation ; la Butchîchiyya publie la revue Soufisme d’Orient et d’Occident ; Muhammad Vâlsan, fils du cheikh Vâlsan, édite une « revue d’études traditionnelles », Science sacrée, dans un esprit très guénonien, etc. Les publications individuelles, provenant de divers courants du soufisme français, gardent un rythme conséquent, ainsi que les traductions de textes soufis, dont la qualité est toutefois inégale. L’émission télévisée islamique du dimanche matin avait précédemment comme animateur Abd al-Haqq Guiderdoni, déjà cité, et elle continue à s’intéresser au soufisme. Au XIIe siècle, les soufis du Proche Orient ont été en grande partie à l’origine de la célébration du Mawlid, fête anniversaire de la naissance du Prophète, et de la même façon Terres d’Europe a institué cette célébration sous forme publique, à Paris. Le soufisme de France, encore jeune, bénéficie d’une faculté d’adaptation susceptible de créer des formes inédites , et d’une liberté doctrinale qui fait défaut dans certains pays musulmans : les travaux fondamentaux accomplis sur la métaphysique d’Ibn ‘Arabî, en France notamment, n’auraient pu y voir le jour. L’Occident est aussi un terrain privilégié de rencontre entre les spiritualités, pas uniquement ‘‘monothéistes’’ .

 

L’attraction que le soufisme exerce actuellement en France, palpable chez le public féminin en particulier, dépasse le phénomène de mode. Elle correspond à un besoin réel de spiritualité et de sagesse dans ce monde en perte de valeurs et de repères intérieurs, besoin qui s’exprime également dans d’autres spiritualités représentées sur notre territoire. En France, le soufisme peut apporter une réponse aux jeunes ‘‘issus de l’immigration’’ qui revendiquent une spiritualité universaliste puisque, à l’instar des autres membres de la société, ils sont pris dans la spirale de la mondialisation. Par sa verticalité, le soufisme peut les aider à s’ancrer dans une tradition islamique millénaire, par le biais du rattachement à l’une des grandes voies, mais aussi à se libérer des réflexes identitaires, des carcans ethniques ou familiaux.

 

Au-delà d’un apport proprement initiatique qui ne peut concerner qu’un nombre restreint de personnes, la culture soufie contribue à restaurer la primordialité spirituelle du message islamique, trop souvent étouffée par le juridisme, et à briser les facteurs d’instrumentalisation de la religion. S’il offre une voie spirituelle à certains Européens, le soufisme sert plus largement de médiateur entre l’islam et l’Occident.

 

 

 

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Comment les musulmans ont vu le christianisme à l'époque classique et à l'époque ottomane


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 Une bonne connaissance du christianisme à l'époque classique

Longtemps après la conquête musulmane, les chrétiens restèrent majoritaires au Proche-Orient et les musulmans minoritaires. La situation ne s'inversa qu'au 10ème s. en Egypte et au 12ème s. en Syrie-Palestine.  Les musulmans avaient donc maintes occasions de connaître les us et coutumes et les doctrines de leurs voisins chrétiens.

 

Il n'est donc pas étonnant qu'au Moyen-Âge l'érudit musulman avait à sa disposition une littérature arabe de grande envergure et de grande qualité sur les convictions et les usages chrétiens avec beaucoup de détails sur le christianisme primitif et les différentes Eglises orientales. Le plus connu de ces ouvrages est le Kitâb al-milal wa n-nihal  ( "Le Livre des communautés et des sectes religieuses") de Shahrastânî (mort en 1153).

Cependant par la suite, la littérature musulmane sur le christianisme s'appauvrit beaucoup.

Au 17ème s. le Turc Kâtib Çelebi dans sa narration sur l'Europe (1655) mentionne simplement que le christianisme est fondé sur les quatre Evangiles et repose comme l'islam sur cinq piliers (sur les cinq piliers de l'islam voir ici ) : le baptême, la trinité, l'incarnation, l'Eucharistie et la confession des péchés. Puis il cite le credo de Nicée dans sa version arabe (qui laisse de côté le filioque).

La papauté

La papauté n'avait évidemment pas échappé à l'attention des musulmans et beaucoup d'auteurs musulmans s'expriment sur le phénomène curieux que représente à leurs yeux le souverain de Rome. Ils le considéraient comme une espèce de roi-prêtre, et le nommaient al-Bâb.

L'islam ne possédant pas de sacerdoce, ni de hiérarchie ecclésiastique, le phénomène d'une Eglise chrétienne strictement organisée était quelque chose de difficile à saisir par les musulmans.

Le premier à mentionner l'existence du pape est le prisonnier de guerre arabe Hârûn ben Yah, qui visita Rome vers 886. Il n'explique pas ce titre et semble admettre qu'il s'agit du nom personnel du monarque.

Yaqût (13ème s.)

Yaqût (m. en 1229) décrit Rome dans sa Géographie de façon plus précise:

Actuellement Rome est entre les mains des Francs et son roi est appelé roi d'Almân. Là habite le pape, auquel les Francs obéissent et qui occupe la position d'un imam. Si l'un d'eux ne lui obéit pas, ils le considèrent comme un rebelle et un criminel, méritant le bannissement, l'expulsion ou la mort. Il leur impose des restrictions concernant les femmes, leurs ablutions, leur nourriture et leurs boissons, et aucun d'entre eux ne s'autoriserait à le contredire"

Ibn Wâsil (13ème s.)

L'historien syrien Ibn Wâsil visita le sud de la péninsule italienne en 1261 et écrit ceci sur le pape:

Il est le calife du Christ et son représentant avec le pouvoir d'interdire et d'ordonner, de décider et d'annuler... Le pape couronne et détrône les rois, et rien dans leur charia ne peut-être exécuté si ce n'est par lui. C'est un moine, et quand il meurt, un autre lui succède, lui aussi moine".

Un auteur ottoman mentionne quelque chose de plus extraordinaire encore pour un musulman: la croyance chrétienne que le pape puisse remettre les péchés. Une telle autorité papale a toujours étonné les visiteurs venus de pays d'islam, car pour les musulmans le pouvoir que les chrétiens reconnaissent ainsi au pape revient en fait à Dieu seul.

Al-Wâzir al-Ghassânî (fin du 17ème s.)

Une autre description de la papauté et du christianisme (européen) provient de la plume de l'ambassadeur marocain al-Wazîr al-Ghassânî qui visita l'Espagne à la fin du 17ème s.

Il parle de manière détaillée non seulement du pape, mais aussi du rôle des cardinaux et même de la manière dont un pape est élu. Puis il traite de questions touchant à l'Inquisition, la persécution des juifs, l'histoire de la Réforme et les conflits religieux à l'intérieur du christianisme. Il se prononce même sur la Réforme anglicane dont il fait remonter la cause aux problèmes conjugaux d'Henri VIII. Il traite aussi de manière assez détaillée du catholicisme tel qu'il était pratiqué en Espagne, parle des nonnes et des moines, des pratiques catholiques de la confession et des maux qui en résultent.

La Réforme protestante est mentionnée chez les historiens ottomans à partir du 18ème s. Mais la chancellerie ottomane en avait eu connaissance dès le 16ème s.

Le christianisme, une religion respectée, mais "dépassée"

Tout comme le christianisme avait affirmé dépasser et parachever le judaïsme, l'islam affirme dépasser et parachever le christianisme. Il n'a donc jamais ressenti le christianisme comme un danger. Il n'en est pas de même pour les idéologies européennes récentes, en particulier le sécularisme issu de la Révolution française.

Voici un extrait d'un mémorandum rédigé au printemps 1798 par le secrétaire-en-chef du Sultan à l'intention du Conseil d'Etat ottoman:

Les athées connus et célèbres, Voltaire et Rousseau et d'autres matérialistes ont imprimé et publié divers ouvrages qui contiennent des injures et des blasphèmes à l'égard des prophètes et des grands rois, le souhait de l'abolition de toute religion, ainsi que des allusions à la douceur de l'égalité et de l'idéologie républicaine, tout cela exprimé avec des mots et des phrases facilement compréhensibles, sous forme de dérision, et dans la langue commune du peuple....

Les ressortissants de la nation française ne croient pas en l'unicité du Seigneur des cieux et de la terre, ni en l'envoi d'un intercesseur au Jour dernier, mais ils ont abandonné toute religion, niant l'au-delà et ses châtiments. Ils ne croient pas au Jour de la résurrection et prétendent que seul le temps qui passe nous détruit et qu'il n'existe rien en dehors du sein qui nous a donné la vie, et de la terre qui nous avale, et que, de plus, il n'existe pas de résurrection, ni de jugement dernier, aucune épreuve, ni sanction, pas d'interrogatoire [dans la tombe et au Jugement dernier], ni de réponse. Ils expliquent que les livres des prophètes sont ouvertement des faux, et que le Coran, la Thora et les Evangiles ne sont que mensonges et bavardages, et que ceux qui se désignent comme prophètes ont trompé des hommes ignorants, que tous les hommes de par leur humanité sont égaux, qu'aucun n'a mérité de supériorité sur l'autre et que chacun dispose librement de sa personne et détermine lui-même son devenir dans la vie.

Par de telles croyances et des opinions aussi grotesques, ils ont érigé de nouveaux principes et édicté des lois que Satan leur a soufflé. Ils ont détruit les bases de la religion et ont rendu légales des choses interdites et se sont arrogé ce que leur passion désirait. Ils ont entraîné les masses du peuple, qui sont devenues comme des fous délirants dans leurs sacrilèges, ont produit des troubles dans les religions et semé la discorde entre les rois et les Etats.

.... Puis les Français dirigèrent leur impiété et leurs complots contre la communauté de Mohammed ".

Effectivement, cette même année 1798 Bonaparte lançait son expédition d'Egypte, qui marqua le début du colonialisme européen. Petit à petit, l'ensemble du monde musulman allait tomber pour lontemps sous la domination européenne (française, anglaise, russe et italienne). Sur le choc colonial voir

 

© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg

 

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