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Histoire de L'Islam

L'Islam et les musulmans
La première chose qu'il convient de définir est le terme Islam. Nous pouvons affirmer que ce mot Islam n'est pas apparu après l'arrivée d'un homme ou l'accomplissement d'un phénomène. L'Islam est la véritable religion d'Allah (traduction en arabe du mot Dieu). En effet, c'est Dieu qui a choisit l'Islam, comme le montre le verset suivant :

Sourate 5, Verset 3
... Aujourd'hui, J'ai parachevé pour vous votre religion, et accompli sur vous Mon bienfait. J'ai agréé l'Islam comme religion pour vous... Sourate 5, Verset 3

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Le secret de l'éternité de la civilisation et de la culture islamiques

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L'on rencontre toujours de multiples difficultés et complications lorsque l'on décide d'identifier et de déterminer les facteurs composant les civilisationscivilisations. En effet, il y a une diversité vaste et très importante en ce qui concerne la détermination et la définition des causes et des effets dans ce domaine.

Cependant, un examen plus approfondi de l'ensemble des théories et des opinions des penseurs et des intellectuels musulmans concernant les civilisations et la culture islamiques, nous montre que le point commun de toutes ces théories consiste à considérer que les fondements de la glorieuse civilisation islamique se basent sur la prédominance de la révélation et la croyance en Dieu, et non pas sur l'humanisme. En d'autres termes, la religion englobe toutes les manifestations de la civilisation et de la culture. En réalité, les religions ont été, tout au long de l'histoire de l'humanité, la source de toutes les sciences et de toutes les techniques, notamment la philosophie et les sciences rationnelles qui constituent, à leur tour, la source de toutes les autres sciences. Les documents historiques confirment tous cette réalité irréfutable.

Certains penseurs qui travaillent sur l'histoire de la civilisation islamique, n'ont pas observé une distinction nette entre les deux notions de civilisation et de culture. En réalité, ils les utilisent souvent comme synonymes, ce qui les conduit à identifier et à déterminer les piliers de la culture et de la civilisation islamiques de la façon suivante :

La connaissance de Dieu : La connaissance de Dieu est le premier pilier important de la culture islamique. C'est la raison pour laquelle, la culture islamique considère qu'il existe des liens très forts entre l'individu et la société humaine d'une part et le Créateur de l'univers de l'autre. Autrement dit, la culture islamique se fonde sur la croyance en Dieu unique et elle considère que le monde et toutes ses composantes se soumettent à l'ordre de la loi de causalité et à la providence de Dieu. En réalité, par sa providence, Dieu accorde Sa clémence à toutes Ses créatures et n'empêche jamais l'établissement des liens entre la cause et l'effet.

A ce propos, Le verset 13 de la sainte sourate "Le Tonnerre" en dit : "Dieu ne change la vie d'un peuple, que lorsque ce peuple agit lui-même pour changer sa vie".

L'éternité de la culture islamique : Il n'y a nul doute que la culture islamique se développe dans l'ensemble de la création et dans sa relation avec le Créateur, ce qui assure, en réalité, l'éternité de cette culture. Ceci étant dit, la culture islamique est une culture stable et éternelle. Cette stabilité et cette éternité s'étendent dans tous les aspects de la religion, la doctrine, les principes et l'éthique afin de préparer le terrain à la réalisation des objectifs universels du vénéré Messager de Dieu (que la paix divine soit sur lui et ses descendants). Cette particularité exceptionnelle de la religion donne une grande confiance aux humains, renforce leur volonté et satisfait leurs besoins spirituels, afin de les encourager à poursuivre leur chemin vers la victoire, le progrès et la réussite.

La globalité : La culture islamique est immense et infinie, et elle dispose d'une cohérence toute particulière. Elle est tout à fait régulière dans tous ses moindres détails et elle provient d'une source unique et d'un mode de pensée particulier. Par conséquent, la culture islamique est naturellement harmonieuse et un ordre parfait règne dans toutes ses composantes. Autrement dit, elle ne peut qu'être englobante et puissante.

La productivité et le dynamisme : Selon la providence du Seigneur, l'homme est le représentant et le successeur de Dieu sur la terre. Pour mériter un tel statut, il est évident que l'être humain doit bénéficier d'une liberté totale. Une fois arrivé à un tel rang élevé, l'homme sera capable de dominer et maîtriser la nature, de connaître les lois et les forces de la nature. Cela lui permet de franchir des pas vers l'acquisition des connaissances qui l'amèneront vers un objectif sacré déjà destiné à l'être humain. Il s'agit de l'élévation de l'homme et de la réalisation de la perfection pour laquelle l'homme a été créé par Dieu. En fin de compte, l'homme doit accomplir le devoir que Dieu lui a fixé. Sur ce chemin, Dieu a équipé l'homme de trois instruments à savoir sa nature innée, le message apporté par les prophètes, et les épreuves difficiles qui préparent l'être humain pour avancer vers la perfection totale.

Par ailleurs, la culture islamique est une culture vivante, constructive et dynamique qui encourage sans cesse l'homme à poursuivre le chemin du progrès dans tous les domaines, en s'appuyant toujours sur la raison. Chaque découverte nouvelle donne à l'homme la clé d'un secret de la nature et lui permet de connaître mieux le but de sa création et la voie de sa perfection. Cela est une voie qui amène l'être humain à mieux connaître son Créateur. C'est un acte d'adoration de Dieu et un élément qui assure le rapprochement de l'homme à Dieu et à la perfection humaine.

L'unité et la cohésion : L'unité et la cohésion sont des avantages très importants de la culture islamique. Cela signifie que chaque effort culturel visant à réaliser l'un des aspects de cette culture doit être en harmonie avec les autres aspects de cette culture unique. Cette vision particulière assure, en quelque sorte, l'unité et la cohésion de l'homme avec l'univers tout entier, permettant à l'être humain de se mettre en harmonie avec toutes les créatures de ce monde. L'étude de l'évolution progressive des civilisations dans l'histoire de l'humanité nous prouve que les prophètes se trouvent toujours au centre et au noyau de la plupart des grandes civilisations humaines. En d'autres termes, les religions ont toujours réussi à jouer un rôle central pour assurer le dynamisme de trois facteurs essentiels de toute civilisation : le système des valeurs, les connaissances et le pouvoir politique. En réalité, ces trois facteurs empruntent leurs forces et leur vivacité à la religion qui est le garant du dynamisme d'une civilisation.

Par conséquent, nous devons chercher la vraie signification de la "civilisation des lumières" dans le changement de tous les éléments du système intellectuel de la société et les relations constructives qu'ils établissent. Autrement dit, nous sommes à la recherche d'une civilisation qui est concrètement une civilisation coranique. Il est à noter que le Saint Coran a une forme matérielle en tant que livre révélé par Dieu, mais il est également doté d'une forme objective qui se réalise lorsque le mot "Allah" se réalise au niveau social. En dépit de tous les progrès matériels, l'homme n'est pas en mesure d'unifier toutes les tendances sociales différentes. L'unification de la société humaine ne serait possible que grâce à la réalisation du califat divin, fondé sur l'apparition d'un axe réel fondé sur l'adoration de Dieu.

http://quran.al-shia.org/fr/ejtema/53.html

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A propos des versets sataniques

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Dieu est bien clair. Jamais les satans n'auraient pu citer un verset du coran :

210. «Et ce ne sont point les diables qui sont descendus avec ceci (le Coran) : 211. cela ne leur convient pas; et ils n'auraient pu le faire. 212. Car ils sont écartés de toute écoute (du message divin).»

Coran 26.210

Toutefois, bien des détracteurs de l'Islam se sont penchés sur une histoire mensongère, citée dans quelques livres pour essayer de faire croire aux gens que le prophète (sws) a été trompé par satan , et qu'il a prononcé un verset ou il dit du bien des dieux païens , on répète que cette histoire n'a aucune base .

Après la sortie du roman "Les versets sataniques" publié par Salman Rushdie en 1988, plusieurs occidentaux furent trompés sur la réalité de ces versets croyant que ces versets ont bien été prononcés par le prophète.

Voici l'histoire prétendue :

Une fois, alors que le Prophète Muhammad (saw) était entrain de prêcher l'Islam aux Quraychites à Makkah, il avait commencé à réciter la Sourate "Ennajm" (L'étoile - sourate 53). Arrivé au passage :

"afara 'aytoumoullâta wal 'ouzza wa manata ethalithata el 'oukhra" (…voyez-vous "ellâta" et "el uzza", et l'autre "manât", la troisième…) en citant les principales idoles que les Quraychites adoraient, satan l'aurait incité à dire :

"tilkoum el gharaniqu el 'oula, wa 'inna chafâ 'atahoum latourtaja" (Ces déesses d'un rang élevé et certes leur intercession est souhaitée) Puis il aurait continué la Sourate jusqu'à la fin, où Dieu dit :"fasjoudou lillahi wa'boudou" (Prosternez-vous pour Dieu et adorez-le)

Il se serait alors prosterné et tous les idolâtres se seraient également prosternés avec lui, vu que le Prophète Muhammad (saw) avait cité leurs idoles en bien…

Réponse et Preuve que cette histoire n'est pas vraie :

Par sa chaîne de transmission :

1) nous ne disposons d'aucune chaîne de transmission "sérieuse" de cette histoire qui remonte directement au prophète passant par un compagnon

2) les savants du hadith précisent que cette histoire est mensongère :

On a demandé à l'imam ibn khuzaima a propos de cette histoire, il répondit : "min wadhi ezzanaadiqa" (est l'œuvre des zindiq - mécréants, infidèles). Vous pourrez trouver une allusion à cette histoire chez Ibn Kathir dans son Taf sir, plus précisément dans le commentaire de la Sourate "Al Hadj". Il y fait référence en attestant que l'histoire n'est pas authentique.

Parmi ces chaînes de transmission on trouve "alkalbi" qui est connu par les gens du hadith comme étant un menteur, son nom est Mohammed ibn assaIb .

3) Des hadiths authentiques (chez boukhari, mouslim, qui sont reconnus comme les hadiths authentiques du prophète) ont étés rapportés sur la prosternation des mécréants de la Mecque mais aucune ne contenait cette histoire de versets sataniques.

4) ce qu'ont rapportés ceux qui aiment ajouter des histoires étranges parmi les exégètes du coran ne constituent en aucun cas une preuve de véracité de cette histoire, Tabari par exemple qui a relaté cette histoire dans son livre : Chronique de Tabari dit à l'introduction que "ce qui est dans son livre n'est pas automatiquement authentique et vrai, mais qu'il ne fait que transmettre ce qui lui a été rapporté"

On n'accepte une parole que si elle est transmise par une tradition authentique depuis le prophète sws.

5) Les divergences apparentes entre les différentes histoires :(il y a 6 histoires), dans chaque histoire, le verset est différent :

Ces déesses d'un rang élevé et certes leur intercession est souhaitée? ".dieux d'un rang élevé et certes leur intercession est souhaitée? "leur intercession est souhaitée (sans parler de déesses) ? "et ce sont elles les déesses de rang élevé ? "et que ce sont elles les déesses de rang élevé et que c'est leur intercession qui est souhaitée ? "Ces déesses de rang élevé, d'elles l'intercession est souhaitée ? " Par le coran :

Une lecture dans le coran prouve que le prophète (sws) n'a jamais prononcé ces phrases sataniques :

1) 44. Et s'il avait forgé quelques paroles qu'ils Nous avaient attribuées,

45. Nous l'aurions saisi de la main droite,

46. ensuite, Nous lui aurions tranché l'aorte.

47. Et nul d'entre vous n'aurait pu lui servir de rempart. Coran 69.44.

2) Dis : "Il ne m'appartient pas de le changer de mon propre chef. Je ne fais que suivre ce qui m'est révélé. Je crains, si je désobéis à mon Seigneur, le châtiment d'un jour terrible". Coran 10.15

3) 73. Ils ont failli te détourner de ce que Nous t'avions révélé, [dans l'espoir] qu'à la place de ceci, tu inventes quelque chose d'autre et (l'imputes) à Nous. Et alors, ils t'auraient pris pour ami intime.

74. Et si Nous ne t'avions pas raffermi, tu aurais bien failli t'incliner quelque peu vers eux

75. Alors, Nous t'aurions certes fait goûter le double [supplice] de la vie et le double [supplice] de la mort; et ensuite tu n'aurais pas trouvé de secoureur contre Nous. CORAN 17.73

Le verset coranique est clair que le prophète n'a jamais dit quelques choses qui plaisent aux mécréants.

4) et dans l'endroit ou ils prétendent qu'il y a eu ce verset, on trouve que dieu dit :

3. et il ne prononce rien sous l'effet de la passion;

4. ce n'est rien d'autre qu'une révélation inspirée. Coran 53.3

Par la logique et l'histoire:

1) il n'est jamais rapporté dans l'histoire des arabes qu'ils appelaient leurs dieux par le terme "gharanik" ? , c'est une preuve que cette histoire fut inventée plus tard.

2) on sait logiquement que le prophète (sws) avait pour mission principale de détruire les idoles et combattre l'idolâtrie, est il logique qu'il dise du bien de leurs dieux alors qu'il les combat.

Culture de la réforme et réforme de la culture

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La réforme est une question communautaire générale, car elle concerne la communauté tout entière et non un individu ou groupe d'individus. Elle se distingue, en outre, par son caractère global et complémentaire car elle ne se confine pas à un aspect ou champ particuliers mais couvre tous les domaines vitaux de ladite communauté. Cela n'implique pas, pour autant, d'exclure l'immense responsabilité qu'assume l'élite éclairée, notamment les intellectuels, dans la promotion de cette
réforme et, auparavant, dans sa conception, sa planification et sa mise en oeuvre, en veillant à ce qu'elle réponde au besoin qui la dicte. Il ne fait aucun doute que le besoin de réforme est conditionné par la nature
de notre pensée arabo-islamique qui a traversé de nombreuses étapes de développement et de rayonnement, preuve que nous pouvons dépasser l'actuelle étape de repli sur soi. Ce besoin est également inspiré par la nature de notre
religion qui incite au renouveau et est dicté par la réalité et ses mutations. En définitive, ce besoin de réforme va de concert avec l'évolution de l'univers et de la vie, qui ne connaissent ni interruption ni stagnation.
Nous devons cependant garder présent à l'esprit que bon nombre de difficultés entravent cette réforme, notamment :
1. L'accumulation et l'aggravation des problèmes, rendant leur résolution ardue, d'autant qu'ils sont traités tantôt avec légèreté et insouciance, tantôt avec exagération, entrainant ainsi leur négligence, leur multiplication ou l'échec d'aboutir à des solutions ;
2. L'absence d'une vision claire et exhaustive, dans le cadre d'un système de réforme globale fondé sur un modèle à adopter et appliquer. Celui-ci doit-il s'inspirer du patrimoine ou être copié sur l'expérience de l'Occident avancé ?
3. A ces facteurs de crise s'ajoute la position de l'Occident vis-à-vis des mouvements de réforme. En effet, l'Occident suit la situation politique et intellectuelle des Arabes et des Musulmans. La lecture des récits de certains occidentaux qui ont été chargés, depuis plus de deux siècles, d'analyser cette situation permet, cependant, d'appréhender la politique
réelle adoptée par les pays occidentaux pour imposer leur hégémonie aux sociétés arabes et islamiques. Cette lecture met également en évidence Les méthodes appliquées pour consacrer la dépendance politique, économique, culturelle, voire militaire, de ces sociétés envers l'Occident.Tous ces facteurs réunis contribuent à renforcer cette hégémonie, mais
aussi à affaiblir ces sociétés. L'incitation des compétences arabes et islamiques à émigrer s'inscrit également dans le cadre de ces tentatives d'affaiblissement car, à travers cette émigration, les pays occidentaux vident ces pays de leurs élites les plus actives ;
4. Aces difficultés, qui s'aggravent encore davantage avec l'intensification de l'ignorance, de l'analphabétisme et de la pauvreté répandus dans la société, s'ajoute l'absence d'une volonté sincère et vigoureuse de réforme ;
5. S'agissant du rôle des intellectuels, nous estimons que la réforme ne peut s'effectuer efficacement et à tous les niveaux à travers des mouvementsindividuels, quand bien même ce sont ces individus qui assument la responsabilité de sa conception et sa planification ;
6. La réforme ne peut, non plus, se concrétiser sans l'acquisition de la culture contemporaine, y compris la technologie renouvelable et la connaissance numérique. Il faut donc encourager la recherche scientifique, les innovations scientifiques et les différentes formes de créativité, tout en favorisant la mise en place d'une structure d'excellence
en matière d'inventivité et de qualité. Cependant, outre le fait qu'elle soit un bagage cognitif, la culture contemporaine c'est aussi une conscience, une vision et des valeurs comportementales adaptées à l'époque. A cet égard, il convient de rappeler, tout spécialement concernant les valeurs, que cette culture suscite elle-même d'innombrables points d'interrogation qui poussent les analystes à s'interroger non seulement sur la réalité de la culture autant des pays arabes et islamiques que
des pays occidentaux dans un monde en constante mutation, ainsi que sur les motifs qui suscitent le réforme de cette réalité.

A vrai dire, ces motifs sont aussi nombreux qu'évidents, et leurs signes précurseurs sont apparus d'ores et déjà depuis le début de l'ère moderne, soit avant deux siècles environ. Pour les peuples arabes et islamiques, c'est
l'aspiration à changer leur situation afin de surmonter les problèmes de la pauvreté, de l'ignorance, de l'analphabétisme et du sous-développement etrattraper le train du progrès. Il s'agit, pour ces peuples, d'assimiler les acquis
cumulés par le monde avancé dans les domaines politique, économique, social et
culturel, lesquels acquis ont permis aux citoyens de ce monde de jouir
pleinement de leurs libertés et de tous leurs droits et leurs ont fourni les
conditions idéales pour remplir leurs droits et obligations.
Il serait utile ici de rappeler que le monde arabe et islamique regorge de
richesses et de potentialités que sont le poids démographique, les ressources
naturelles, la position stratégique et les hautes compétences tant nationales
qu'expatriées ainsi que leurs capacités d'investissement à l'intérieur comme à l'extérieur.
D'où la question : quel est l'origine de cette défaillance ?
Il est vrai que les Arabes et les musulmans ont connu bon nombre de
secousses, à commencer par les conflits sur la question du Califat dès la première
époque islamique, avec toutes les conséquences négatives qu'ils ont eu sur l'Etat et
la société, suivis par la conquête de Hulagu, les Croisades, l'expulsion des Arabes
de l'Andalousie, le colonialisme et toutes ses répercussions d'après l'indépendance.
A cela s'ajoutent les séquelles de l'occupation de la Palestine, de la crise en Irak et
de toutes les crises qu'ils traversent aujourd'hui et dont il serait difficile de prévoir
l'impact, en particulier à l'époque contemporaine où la plupart des pays arabes sont
confrontés à des soubresauts inopinés que j'aborderai plus tard.
Pour répondre correctement à la question ci-haut posée, il convient de
procéder à une autocritique, en admettant, tout d'abord, la réalité de notre sousdéveloppement
puis en en cherchant les causes. Nous en déduiront ainsi que
parmi celles-ci figurent le repli sur soi, l'attachement aveugle à des traditions et
coutumes ancestrales qui ont façonné des mentalités sclérosées, et la fermeture
de toutes les issues permettant l'ouverture sur l'Autre.
Les dangers de ce repli, jadis limité aux aspects militaire, politique et
économique, se précisèrent lorsqu'il toucha l'aspect culturel qui a fini par céder
en dépit de la résistance et de toutes les actions positives entreprises par les
mouvements de réforme, dirigés d'une part par les promoteurs de la pensée
scientifique salafite tant en Orient qu'en Occident et, d'autre part, par des
pionniers de la modernité de ces mêmes pays qui ont pris connaissance, dès le

XIX° siècle, des progrès réalisés par l'Occident et dont les tentatives d'en
transférer certains aspects se sont heurtées à une résistance interne qui ont mis en échec ces tentatives.
Par la suite, ce repli s'est amplifié, ainsi que les dangers qui y sont
inhérents, après la colonisation des pays arabes et islamiques, lesquels ont trouvé
dans la recherche de soi et la réhabilitation du patrimoine un moyen naturel et légitime pour combattre cette colonisation.
Après l'indépendance, la pensée tenta de réunir les conditions du développement en prônant d'emprunter la même voie que l'Occident. Mais là encore, la tendance au repli persista, influant ainsi sur le processus d'ouverture.
Ainsi, la question ancienne-nouvelle sur les causes réelles du sousdéveloppement
reste posée et soulevée par différentes opinions.Mais alors, où réside le problème ? Est-il intrinsèque à l'Islam ou est-il dû
à la manière dont l'islam est appliqué ? En d'autres termes, est-ce que le
problème réside dans les musulmans et leur renoncement aux valeurs de l'islam
et leur incapacité à se mettre au diapason des peuples avancés ? Est-il dû à leur
incapacité à concilier la religion avec les nouvelles exigences matérielles ? Estil
dû à leur attachement aux petits détails et leurs divergences sur le parcellaire,
en laissant de côté l'essentiel, tout en s'appuyant sur des référentiels dépassés et
des textes incompatibles ?
C'est justement ce que l'on constate dans le domaine de la science et de son
exploitation, dans la domination de la pensée tirée du mythe et de la superstition,
auxquels s'ajoute la nature de la gouvernance fondée, dans la plupart des pays
arabes et islamiques, sur le despotisme, l'absence de consultation (Choura) et de
démocratie, l'usurpation par des individus des richesses publiques au détriment
des intérêts de la nation et de ses aspirations au progrès et au développement.
Ceci sans compter les provocations contre l'Islam et les musulmans pour les
maintenir dans le sous-développement aux fins de concrétiser des visées colonialistes.
A ce stade, une autre question s'impose : pourquoi les Arabes et les musulmans ont réussi jadis et pas maintenant?
En lisant l'histoire, on déduit que les musulmans ont, par le passé, saisi l'importance de la science, domaine où ils excellaient tant dans la recherche que dans l'élaboration d'ouvrages, créant ainsi dans leur parcours une culture
clairvoyante et une civilisation prospère dont les effets ont touché tous les
aspects de la vie. Ils ont, en outre, compris l'importance de la traduction des
oeuvres d'autrui et ont, de ce fait, traduit d'importants ouvrages en arabe, loin de
tout complexe susceptible d'entraver ce processus. Les savants ont ainsi
accompli leur devoir et rempli les responsabilités qui leur incombent.
Cependant, cette mission est passée aujourd'hui aux oubliettes, les savants,
car les penseurs et les intellectuels ont abandonné cette responsabilité et sont
devenus désormais, dans leur grande majorité, des spectateurs indifférents ou des
personnes soucieuses de leurs intérêts propres et ont perdu ainsi leur position où
la neutralité n'a aucune raison d'être. Ils ne s'intéressent plus aux problèmes de
leur communauté pour leur trouver des solutions. C'est ainsi qu'ils ont ouvert la
voie aux pédants, ignorants et épris de slogans éclatants issus soit d'un discours
idéologique n'ayant aucun fondement, soit d'un discours religieux extrémiste ou
démodé visant à leurrer l'opinion publique et que les évènements du 11
septembre ont exacerbé, faisant ainsi des musulmans la cible d'agressions et
d'accusations sous prétexte que leur religion incite au terrorisme. Or, les uns et
les autres sont, pour la plupart, des gens qui ont mal compris l'esprit de la
religion, sous l'effet d'une réalité sociale implacable, ou des purs produits du
colonialisme qui oeuvrent à exécuter les plans de celui-ci. J'entends par là les
plans concoctés par le colonialisme afin de consacrer sa présence et renforcer
son influence, à commencer par l'attisement des conflits ethniques et
linguistiques en passant par les divergences politiques et doctrinales et autres
conflits et collisions d'intérêts personnels.
La pensée réformatrice contemporaine se préoccupe de certaines questions
qu'elle juge essentielles pour réaliser le progrès, notamment en abordant la
relation entre la religion et la politique ainsi que la relation entre la religion et
l'extrémisme et le terrorisme. En continuant à réfléchir à l'équation patrimoine/
modernité, la pensée réformatrice s'est retrouvée partagée entre droite, gauche et
centre, avec tous les groupes et catégories qui les composent et soulèvent des
questions ponctuelles telles que le dialogue et le conflit ou l'alliance des
civilisations. Or tous ceux-ci n'ont de cesse d'insister sur la tolérance de la
religion et ses potentialités en matière de dialogue et d'alliance, ainsi que sa
capacité à assimiler la démocratie.
Cette préoccupation s'active malheureusement loin du climat de liberté
nécessaire à l'instauration d'un environnement académique susceptible de
stimuler les capacités créatives. Elle est tout aussi dépourvue de l'aspect
scientifique et technologique et autres outils de développement qui assurent la
suprématie de l'Occident. Elle ne dispose pas, non plus, des exigences de la
mondialisation et des possibilités de concilier cette dernière avec la réalité arabo-
islamique, toutes composantes patrimoniales/courantes et aspirations futures
confondues. Elle ne peut, en outre, se prévaloir des capacités permettant de
relever les défis de la mondialisation et d'assimiler ses aspects positifs, qu'ils
soient économiques ou culturels, ces derniers étant liés à l'identité et sont
l'expression des spécificités culturelles, considérées souvent comme statiques.
Il est vrai que dans notre monde arabe et islamique nous parlons de la
démocratie et de la nécessité de l'adopter pour sortir du sous-développement. Il
est tout aussi vrai que nous nous efforçons d'instituer des systèmes, des appareils
et des institutions démocratiques. Mais nous ne pourrons y parvenir en l'absence
de la substance de la démocratie, c'est-à-dire tout ce qui a trait aux valeurs
démocratiques et au degré de la conscience de la société à leur égard afin qu'elle
s'en imprègne et les exprime dans son comportement, et ce, en acceptant et
respectant l'opinion de l'Autre et en dialoguant avec lui de façon positive, loin de
toute velléité égoïste ou désir d'imposer son avis et réfuter celui d'autrui. Or tout
ceci exige un changement au niveau de l'intellectuel et du mental.
Si l'Occident est avancé sur les plans politique, économique et militaire, il
l'est aussi dans les domaines culturel, cognitif et technologique. Mais, au
préalable, il s'était développé intellectuellement et mentalement, et c'est ce qui l'a
habilité à accéder à l'excellence et la supériorité, libérant ainsi les énergies et les
potentialités de l'ensemble de la société, toutes strates et catégories confondues.
Aujourd'hui, le citoyen occidental est conscient de l'importance de l'entreconnaissance,
de la solidarité, de l'alliance et de la coopération, à travers les
valeurs humaines communes, d'autant que ces dernières ne sont pas, dans leur
essence, incompatibles avec les valeurs religieuses.
Mais peut-être devrons-nous considérer la mondialisation, sous cet angle de
vue, en tant que nouveau cadre régissant les relations internationales, mais aussi
-ce à quoi elle est destinée- en tant que synonyme de l'occidentalisation. Souvent,
cependant, elle est vue tout simplement comme un mélange hétérogène alors que
d'aucuns y voient une perspective unidimensionnelle portant sur des concepts
exclusifs et constants.
La mondialisation a débouché effectivement sur une modification des
concepts et des plans, avec toutes les visions et théories que cela implique. L'on
s'interroge à juste raison sur le degré d'emprise de ce phénomène et sa capacité
à réduire le rôle des individus et de la société civile, voire même des Etats. La
même question se pose aussi sur ses conséquences et sa capacité à atteindre les
tréfonds culturels des peuples, rendant ainsi utopique la notion de diversité et de
pluralité dans les domaines culturels. Dans ce cas de figure, on est amené à nous

interroger, avec encore plus d'insistance, sur les lignes communes à ces
domaines ou de séparation entre eux, ainsi que sur la possibilité d'existence d'une
limite minimale pour une culture humaine à valeurs communes, et ce, à un
moment où tous les peuples soucieux de préserver leurs spécificités culturelles,
qu'ils soient avancés ou sous-développés, s'inquiètent unanimement des dangers
intrinsèques de la mondialisation.
D'autre part, les Arabes et les musulmans ne sont pas seuls dans ce monde, et
font partie intégrante d'un ensemble dont ils partagent et les aspects positifs et
négatifs. Ils partagent tout autant que les autres ses préoccupations, troubles,
confrontations et luttes, ainsi ses constantes et ses mutations, mais aussi son
exposition à la tyrannie des grandes puissances qui le manipulent ou s'efforcent de
le faire.
Aussi, les Arabes et les musulmans doivent-ils, dans ce maelström qui les
entraine, à se connaître de leur propre perspective et non pas à travers le regard de
l'Autre, bien que celui-ci ne soit pas dépourvu d'intérêt. Ils doivent entreprendre
cette autoanalyse avec objectivité, sincérité, impartialité et de façon critique afin
d'identifier, d'une part, les points forts pour les mettre en évidence et les enrichir et,
d'autre part, les points faibles afin de les éviter et les corriger, mais tout en se
conformant cependant aux normes mondiales régissant la vie des individus et des
communautés, telles qu'elles ont été convenues par les pays avancés.
Dans le contexte de cet engagement et des réformes et efforts de
développement qu'il implique, la pensée arabo-islamique requiert -après son
autocritique- l'ouverture sur l'Autre par tous les moyens, à commencer par la mise
en application des résultats et méthodes de la recherche scientifique et l'impulsion
des facultés créatives, en passant par la traduction qui, malheureusement, demeure
insuffisante, qu'il s'agisse de la traduction à partir des langues étrangères vers l'arabe
ou inversement. D'où la nécessité de mettre en place des institutions sérieuses et
responsables pouvant opérer en toute liberté.
Mais rattraper le train du progrès requiert également que l'on s'efforce de
nous adapter à l'évolution mondiale, notamment aux facteurs de développement,
de prospérité et d'hégémonie qu'elle comporte, et ce, à un moment où des pays,
et à leur tête les Etats Unis d'Amérique, s'appliquent à changer selon leur
perspective la situation politique, économique, sociale et culturelle du monde
islamique. Mais cette perspective, qui se dissimule derrière des slogans tels que
la démocratie, la liberté et la mondialisation, cache des intentions d'exploitation,
d'oppression et de réalisation d'intérêts. Les USA, par exemple, qu'ils soient
conscients ou inconscients de leurs contradictions, ont suscité des problèmes et

crises en Iran, Irak, Soudan, Palestine, Afghanistan et ailleurs, qu'ils peinent à
résoudre ou s'en débarrasser.
Et c'est dans le contexte de ces défis, avec leurs flux et reflux, que le monde
est pris de court par des événements sans précédent suscités par la révolte d'une
jeunesse en ébullition dans certains pays arabes qui s'est poursuivi tout au long
du premier semestre de l'année en cours, commençant en Tunisie et en Egypte,
et se poursuivant au Yémen, en Libye et en Syrie. Comme indiqué
précédemment dans cet article, il s'agit d'une nouvelle prise de conscience qui,
jusque là, faisait encore défaut. Certaines de ses conséquences positives se sont
manifestées au Maroc où son leadership éclairé a pris les devants en amorçant
une série de réformes fondamentales.
Cette prise de conscience est indicatrice du niveau de mécontentement des
peuples qui se révoltent contre une situation où sévit la corruption, où ils sont
dépouillés, sous le joug qu'ils subissent, de leurs droits les plus élémentaires, à
commencer par la liberté et la justice sociale, avec tout ce qu'elles comportent de
légitime et d'essentiel, tels le droit au travail, à la vie digne et à la sécurité. Ce
soubresaut impétueux traduit un besoin immense et pressant pour des
changements à même d'extirper et la corruption et les lois et règlements qui la
supportent, et ce, en dépit de tous les dangers et difficultés que ce soulèvement
stupéfiant et imprévu comporte, suscité par la perte de toute confiance dans les
différentes institutions politiques et sécuritaires, considérées par les masses
comme des façades créées par les régimes en place pour conforter la corruption
politique, avec tout ce qu'elle entraîne de despotisme, d'arbitraire, de pillage des
biens publics et de violation des droits des citoyens.
Ces dangers et difficultés, qui se renouvellent à travers les protestations
journalières et que les technologies de l'information et de la communication
modernes concourent à leur effervescence, nous interpellent pour leur accorder
un temps de contemplation culturelle, loin de toute influence idéologique, et
pour entreprendre une analyse objective et impartiale afin de parvenir à des
solutions pertinentes. Il s'agit surtout d'essuyer le moins de pertes possibles que
les difficultés et défis engendreront, sur le plan socioéconomique, pendant la
période de transition et dont le plus grave est justement celui qui remet en
question la cause même du soulèvement et des objectifs qu'il visait.
Il est évident que ce ne sont pas les épris de slogans politiques dépourvus de
sens ou les technocrates, financiers et hommes d'affaires qui se cachent derrière les
affiches du développement économique et technologique, et auxquels incombent les
fonctions d'exécution et d'application, qui pourront se charger de ce type de
contemplation. Pas plus d'ailleurs qu'elle ne peut être confiée aux prétendus
intellectuels et opportunistes qui restent accrochés aux lignes officielles, prédisposés
à changer de position en fonction de leurs intérêts personnels. Il en est de même des
intellectuels déçus qui se sont effacés pour vivre repliés sur eux-mêmes.
A ceux-là s'ajoutent les anarchistes, adeptes de «l'anarchie créative», ainsi
que tous les séditieux qui cherchent à entraver par tous les moyens le processus
de réforme, en cultivant les graines de l'inconsistance, de la dégénérescence, de
la décadence des goûts et des moeurs, se précipitant à accaparer les bénéfices du
moment tout en se préparant à cueillir les profits que le futur leur apportera, ce
futur qui, justement, porte les espoirs d'une réforme censée mener vers des
horizons meilleurs.
Ceux qui sont habilités à entreprendre cette contemplation difficile sont - à
notre avis - les intellectuels, grâce à leur génie, leurs idées, leur vision, leurs
positions et leur comportement vertueux. Ils sont en mesure de forger les bases
constitutionnelles d'un nouveau projet communautaire, fondé sur la légitimité
des institutions, mais aussi, au préalable, de résoudre les problèmes sociaux
urgents qui ne peuvent attendre la réforme théorique du système en question. Ce
projet doit également se construire sur des valeurs combinant l'authentique et le
moderne tout en répondant aux exigences du développement global, c'est-à-dire
aux préoccupations et aspirations des citoyens soucieux d'améliorer leur niveau
de vie. Ceci débouchera nécessairement et par le dialogue sur une concorde
nationale sereine et transparente, rejetant toute forme de conflit, y compris celui
des générations, et ce, sans être incompatible avec la mondialisation dans son
aspect positif véridique, précédemment évoqué.
S'agissant du référentiel islamique mentionné dans le cadre de ce
mouvement de réforme, aucun homme honnête et sincère ne pourra réfuter la
relation existant entre ce référentiel et l'Etat, qu'il soit religieux ou laïc. Or ce
référentiel n'est pas incompatible avec l'Etat laïc, d'autant qu'il rejette l'Etat
religieux dans son acception théocratique qui rattache la gestion de l'Etat au droit
divin. Il en est de même de l'acception qui tente, par ignorance, de la rattacher à
ce référentiel en imaginant qu'il s'agit du synonyme d'un Islam politique arriéré
et extrémiste. L'Islam apporte des textes généraux qui constituent une base que
les Musulmans doivent étudier, sonder, comprendre et appliquer d'une façon qui
correspond à leur situation réelle, qui varie en fonction du moment et du lieu, en
particulier en matière de politique et de gestion des affaires publiques.
Malheureusement, les partisans de l'attachement à ce référentiel semblent
incapables de formuler un discours politique islamique nouveau et porteur d'une
vision moderniste claire qui tient compte des changements imprévus, tout en
s'efforçant de résoudre les problèmes socioéconomiques qui s'aggravent de jour
en jour.
Nous gardons l'espoir qu'une telle démarche culturelle nous permettra de
reprendre confiance et d'entamer la réforme nécessaire, c'est-à-dire faire face à
la corruption dans sa double facette, à savoir la culture de la corruption et la
corruption de la culture, et ce, dans les formes religieuse et matérielle de cette
culture. En d'autres termes, il faut que cette réforme s'accomplisse dans le
cadre de la légitimité des lois, des droits et des obligations. Ceci aura pour
effet de résorber les tensions et de stopper l'hémorragie, tout en trouvant les
alternatives susceptibles de restaurer la sécurité et la quiétude des gens, et
entreprendre, sans plus tarder, les mesures permettant de préserver non
seulement la sécurité des individus, de la société et de l'Etat, mais aussi le
prestige sans lequel l'Etat n'a plus de raison d'être.
Ce grand projet civilisationnel ne peut cependant aboutir que par la mise en
place de politiques solides et efficaces, à même de trouver des solutions
appropriés aux problèmes sociaux, tant dans le domaine de l'enseignement, de la
justice et de l'emploi que dans celui de la gestion des affaires communales ou
publiques. Ces politiques devront être en mesure de faire face à toutes les crises,
qu'elles soient réelles ou artificielles. C'est ainsi que la culture retrouvera sa
vitalité et son esprit créatif, et les intellectuels leur rôle responsable vis-à-vis de
la société.
C'est de là qu'il apparaît nécessaire de s'interroger sur ce rôle vital,
tant dans l'étape actuelle que celle à venir. A-t-il la capacité de gérer les
problématiques de l'étape actuelle et développer une nouvelle pensée
capable d'en relever les défis et, par voie de conséquence, de trouver les
solutions appropriées aux crises qui en découlent ?

 

 

(*) Conseiller de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et professeur de chaire à l'Université
Mohammed V à Rabat, membre de l'Académie du Royaume du Maroc, de l'Académie de la
langue arabe du Caire et de l'Académie royale Âl al-Beyt pour la pensée islamique de Jordanie.


186 Culture de la réforme et réforme de la culture

http://www.isesco.org.ma/francais/publications/Islamtoday/index.php?page=/Home/ISESCO%20Prizes

 

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Grande Discorde (al-fitna al-kubrâ) 655-661

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Par Tatiana Pignon

Les affrontements qui ont lieu dans les tous premiers temps de l’islam se concentrent pour la plupart autour de la question du califat, c’est-à-dire de la succession du Prophète, problématique en raison de l’absence d’indications laissées par Mahomet lui-même. Les rivalités pour le pouvoir, qui divisent l’élite médinoise, finissent par engendrer une véritable guerre civile en 655, lorsque le gendre du Prophète, ‘Alî, est désigné comme calife : cette guerre, appelée la Grande Discorde (al-fitna al-kubrâ en arabe) met en jeu non seulement l’avenir politique de l’islam, mais aussi la définition même du califat et donc de l’autorité religieuse en islam. Le transfert qui s’opère alors, du politique au religieux, provoque la sécession de plusieurs groupes qui développeront désormais leur propre conception de l’islam : c’est la naissance du chiisme, notamment, mais aussi du mouvement kharidjite par exemple.

La succession du Prophète

La mort de Mohamed, en 632 (an 10 de l’hégire), laisse vide la place de chef suprême de la communauté musulmane (Umma). En l’absence d’indications données par le Prophète sur la manière d’organiser sa succession, les élites médinoises – formées en majorité de la famille, au sens large, de Mahomet, c’est-à-dire des membres de la tribu des Quraysh – se rassemblent pour désigner un nouveau chef sur le principe du consensus. Abû Bakr, beau-père de Mahomet et converti de la première heure (on dit même qu’il serait le premier à devenir officiellement musulman), est choisi comme calife (khalîfa), c’est-à-dire « successeur [1] » du Prophète. Les critères auxquels doit répondre le calife sont dès lors établis, de fait : il s’agit de l’appartenance à la Maison du Prophète, de l’ancienneté de la conversion et de la respectabilité et de l’obéissance à la loi islamique. Sur ce même modèle sont désignés les deux califes suivants, ‘Umar et ‘Uthmân, toujours en se fondant sur le consensus médinois, c’est-à-dire sur l’accord entre tous les chefs de l’Umma. Mais nombreux sont ceux qui répondent à ces critères et qui peuvent revendiquer l’accession au califat. La politique uthmanienne est très critiquée : ce membre du clan des Umayyades – rival de celui de Mahomet au sein de la tribu des Quraysh – favorise largement sa famille, lui réservant par exemple la plupart des postes de gouverneur, et est accusé d’établir un pouvoir aristocratique dévoyant le message de Mahomet. Une révolte finit par éclater en Égypte en 655, et ‘Uthmân est assassiné en juin 656 – évènement qui déclenche une véritable panique. C’est dans ce contexte troublé que le gendre du Prophète, ‘Alî ibn Abî Tâlib, est nommé calife [2]. Converti très tôt lui aussi, il appartient comme son cousin Mahomet au clan hashîmite de la tribu des Quraysh, et avait épousé sa fille Fâtima, morte en 632.

Affrontements politiques et dissensions religieuses

Le combat est d’abord politique. ‘Alî est immédiatement confronté à une opposition forte, qui vient d’abord d’Aïcha, la femme préférée de Mahomet, et de deux autres proches parents du Prophète, Talha et al-Zubayr. Ceux-ci, considérant qu’ils ont autant de droits que lui au califat, lui retirent leur allégeance et quittent Médine pour aller constituer une armée à Basra. Ils affrontent ‘Alî à l’été 656 dans la plaine qui s’étend à l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate, lors d’une bataille restée dans l’histoire sous le nom de « bataille du Chameau », du nom de l’animal sur lequel était juchée Aïcha pour exhorter les troupes ; on dit que c’est au moment où les jarrets du chameau furent coupés que ‘Alî remporta la victoire. Talha et al-Zubayr y sont tués, mais une nouvelle opposition apparaît contre ‘Alî : celle des Umayyades, menés par Mu‘âwiya qui craint de perdre le gouvernorat de Syrie que lui avait donné ‘Uthmân. Mu‘âwiya prend prétexte de la nécessité de venger le meurtre de ‘Uthmân, son cousin, pour refuser de prêter allégeance à ‘Alî, qui s’installe entre-temps à Kûfa, en Irak. Les deux troupes s’affrontent à Siffîn à l’été 657, pendant plusieurs mois, sans victoire décisive de l’un ou l’autre côté. Mais le risque de l’enlisement du combat fait planer la menace d’une disparition mutuelle, qui priverait l’Umma de ses chefs et mettrait en péril l’empire de l’Islam. On décide donc de s’en remettre à l’arbitrage, moyen de règlement des différends préconisé par le Coran. Lorsque l’arbitre représentant ‘Alî propose une solution de compromis consistant à trouver un autre calife, par exemple le descendant du calife ‘Umar, celui qui représente Mu‘âwiya refuse, mais prend cette proposition comme un accord sur le fait de démettre ‘Alî de ses fonctions. À cette nouvelle, une partie des combattants du camp alide, refusant l’arbitrage, fait sécession et se retourne contre ‘Alî : il s’agit des khârijites, écrasés l’année suivante à Nahrawân, ce qui achève de discréditer le calife en titre. Mu‘âwiya apparaît alors, aux yeux des élites médinoises, comme le seul à même de ramener l’ordre et de sauver l’empire : il est nommé calife en 660, et l’assassinat de son rival en 661 achève de consacrer sa victoire.

Mais le conflit entre ‘Alî et Mu‘âwiya va au-delà de l’ordre politique. Le gendre du Prophète est considéré par ses partisans comme son successeur légitime, qui aurait été désigné par le prophète lui-même. Ce « parti de ‘Alî », shî‘at ‘Alî en arabe, est l’origine directe du courant chiite (ou shi‘ite), pour qui le califat ne peut être détenu que par les alides, c’est-à-dire par les descendants directs de Mahomet par Fâtima et ‘Alî. Au contraire, le sunnisme permet à tout musulman d’ascendance qurayshite [3] choisi par son prédécesseur d’accéder au califat ; il tire son nom de la sunna, la norme de conduite fondée sur le comportement du Prophète et éventuellement des premiers califes. Cette distinction, à l’origine politique et partisane, fonde donc la plus grande dissension religieuse qui existe au sein de l’islam ; elle s’accompagne, dans l’idéologie qui s’est constituée au fil du temps, de différences dans la conception de l’islam lui-même, dans la célébration des fêtes et dans les références.

Mu‘âwiya et la mise en place du pouvoir umayyade

La Grande Discorde a des conséquences très importantes en matière purement politique, puisqu’elle amène au pouvoir Mu‘âwiya et avec lui, le clan umayyade. Jusque-là, la structure politique était celle de l’État médinois, centré sur la ville du Prophète et gouverné de manière plus ou moins collégiale par les chefs de l’Umma sous l’autorité du calife. C’est Mu‘âwiya qui donne à la position califale sa fonction de chef politique suprême et une autorité réelle. Il déplace tout d’abord le centre du pouvoir en Syrie, à Damas, où il restera pendant tout le règne des Umayyades – c’est-à-dire jusqu’en 750. L’image du calife-souverain est diffusée, notamment par le moyen d’inscriptions à travers tout l’Empire ; de plus, en nommant son fils Yazîd pour lui succéder, Mu‘âwiya impose le principe de succession dynastique. Les auteurs musulmans traditionnels considèrent que son arrivée au pouvoir coïncide avec le retour du mulk, cette forme de pouvoir monarchique qui avait été bannie par le prophète. On assiste de fait à une personnalisation du pouvoir autour de la figure califale, mais Mu‘âwiya agit davantage en chef de confédération tribale qu’en souverain absolu : il ne cherche pas à centraliser l’administration ni l’impôt, ménage les tribus et ne remet pas en cause l’autonomie des provinces. De plus, sa succession sera remise en cause par un Médinois descendant d’al-Zubayr, qui aspirera lui aussi au califat, mettant en évidence que le pouvoir établi par Mu‘âwiya, bien que stable pendant son règne, n’est pas encore solidement installé dans la durée. C’est Marwân, l’un de ses cousins éloignés, qui rétablit pour de bon la dynastie umayyade au poste de calife à l’issue de la guerre civile qui dure jusqu’en 684.

La Grande Discorde est donc bien un moment de transition essentiel dans le développement de l’Islam, sur les plans politique et religieux : en effet, c’est autour de questions politiques que se cristallisent des questionnements religieux touchant à la question de la légitimité califale, questionnements qui fondent les deux grands mouvements de l’islam, le chiisme et le sunnisme. C’est aussi à l’issue de cette guerre civile que la dynastie umayyade prend possession du califat, et qu’une certaine conception du pouvoir commence à se développer, autour de la figure du calife qui prend une place de plus en plus importante.

Bibliographie
- Hichem Djaït, La grande discorde. Religion et politique dans l’Islam des origines, Paris, Gallimard, 1989, 420 pages.
- Albert Hourani, Histoire des peuples arabes, Paris, collection Points Seuil, 1993, 732 pages.
- Eric Vallet, « Cours d’initiation à l’histoire de l’Islam médiéval », ENS Ulm, 2011-2012.

[1] Abû Bakr succède à Mahomet dans l’exercice de ses charges administratives, militaires et politiques ; mais la mort du « Sceau des Prophètes » met fin à l’ambition prophétique, et le calife n’est pas, en théorie, un représentant de Dieu ni du Prophète lui-même.

[2] Ces quatre califes, Abû Bakr as-Siddîq (632-634), ‘Umar ibn al-Khattâb (634-644), ‘Uthmân ibn Affân (644-656) et ‘Alî ibn Abî Tâlib (656-661), les premiers califes de l’islam, sont désignés dans la tradition musulmane sous le nom de « califes rashidûn », c’est-à-dire « bien-guidés ».

[3] C’est-à-dire appartenant à la tribu du Prophète ; mais l’extension des tribus était telle que cela laisse beaucoup plus de possibilités que la conception chiite du califat.

http://www.lesclesdumoyenorient.fr/Grande-Discorde-al-fitna-al-kubra.html

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Les rêves dans la culture musulmane

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Le rêve en tant que tel constitue une expérience fondatrice dans la conscience humaine. Il semble avoir bouleversé nos ancêtres dès les temps les plus anciens : alors que le corps repose en état d’immobilité, que toute vigilance a cessé, voici qu’un autre mode de conscience surgit. Le sujet voit, entend, ressent la joie ou la peur, sans que tout ceci ne laisse de traces dans le monde extérieur. N’y avait-t-il pas là pour eux le signe qu’existe en l’homme une âme, un principe immatériel autonome par rapport au corps physique
? Et ces expériences oniriques ne résultent-elles pas, de quelque manière d’une rencontre avec un monde sur-naturel
?

Dans les sociétés archaïques, le rêve est en tout cas le moyen privilégié d’entretenir des rapports avec la surnature : de connaître les événements cachés, présents ou à venir, de maintenir l’équilibre avec le monde des défunts etc. C’est ainsi que les rêves induits chez les chamanes et hommes de pouvoir constituent un des pivots de la vie sociale dans mainte société tribale. Certains anthropologues ont été jusqu’à suggérer que l’expérience du rêve aurait présidé à la naissance de l’art, et que les peintures rupestres préhistoriques que nous pouvons contempler aujourd’hui reproduiraient des visions de type chamanique (cf J.Clottes et D.Lewis-Williams, Les chamanes dans la préhistoire, Seuil, 1996).

Dans la culture musulmane classique, la question du rêve a été abordée avec gravité et prudence à la fois. Gravité, car le hadîth affirme sans ambiguïté que le rêve est une partie de la prophétie (juz’ min ajzâ’ al-nubuwwa) qui perdurera dans la Communauté après la mort de son Prophète, et jusqu’à la fin des temps historiques. Réserve, car il s’agissait de faire le départ entre rêves véridiques porteurs d’un message céleste et songes équivoques issus simplement des passions humaines voire de susurrements sataniques. Examinons ces deux termes de plus près.

Les données de la Tradition

Les rêves ont tenu une place de premier plan dans la vie publique et privée de Muhammad telle qu’elle nous a été rapportée dans la littérature du hadîth et de la biographie prophétique. Nous nous fondons ici surtout sur les principaux recueils de hadîths sunnites (cf la Bibliographie in fine) et sur les ouvrages de Sîra (Ibn Ishâq, Sîra ; Ibn Sa'd,

Mais les recueils de traditions mentionnent surtout ceux dont le poids historique voire politique est manifeste : la vertu d’Abû Bakr et surtout celle de 'Umar sont exprimées par des songes à peine codés. Plusieurs hadîths sahîh-s rapportent ainsi des rêves de Muhammad concernant la précellence de 'Umar. Ce dernier boit du lait (symbole de la science, explique Muhammad) des doigts mêmes du Prophète. Dans un autre songe où apparaissent plusieurs Compagnons, il est celui dont la chemise (interprétée ici comme désignant la religion) est de loin la plus longue. Parfois, le rêve de Muhammad prédit de façon à peine voilée les évènements politiques des trente années suivant sa mort, voire au-delà : la grande fitna, la mort de Husayn à Kerbéla, la révolte de 'Abdallâh ibn Zubayr...(notamment dans plusieurs traditions d’origine parfois incertaine répertoriées dans le Musnad d’Ibn
Hanbal).

Un rêve prémonitoire et d’un poids historique certain a même été mentionné dans le Texte sacré : le songe reçu par Muhammad à Médine de l’entrée des Musulmans à La Mecque en état de sacralisation, confirmé par le pélerinage de 629 (Coran XLVIII, 27). La victoire de Badr, la défaite du mont Uhud auraient elles aussi été prévues lors de plusieurs songes rapportés par le hadîth ; le Coran évoque même le rôle du message onirique qui serait intervenu peu avant la bataille de Badr (VIII, 43-44). Dans tous les cas, le rêve venait confirmer le dessein divin reposant sur un événement politique ou militaire, et donc lui donner sens.

Les récits du Voyage Nocturne et de l’Ascension Céleste peuvent également être mentionnés, pour autant que les savants se sont posé la question de sa nature : voyage de Muhammad dans son esprit ou dans son corps
? Si le consensus de la Communauté s’est fixé sur la première interprétation, celle d’un voyage corporel, plusieurs exégèses rapportent néanmoins aux événements du Isrâ’ le verset XVII, 60 mentionnant un songe du Prophète : ’Nous n’avons fait de la vision (ru’yâ) que nous t’avons montrée ainsi que de l’arbre maudit mentionné dans le Coran, qu’une tentation pour les hommes’. Enfin, la Tradition rapporte un certain nombre de rêves à portée eschatologique où Muhammad ou certains Compagnons (Ibn 'Umar) auraient reçu la vision des récompenses et des châtiments de l’au-delà.

Mais l’importance accordée par le hadîth aux rêves de Muhammad ne doit pas masquer une conviction plus centrale encore pour notre propos : celle que tous les croyants participent de quelque manière à cette suffusion du message divin dans la Communauté. La pratique même du Prophète l’illustrait : il réunissait le matin ses principaux Compagnons, et demandait si l’un d’entre eux avait rêvé. Parfois, ces récits de rêves ont pu exercer un effet sur la Loi ou la coutume religieuse. C’est suite aux songes convergents du Médinois 'Abd Allâh ibn Zayd et de 'Umar ibn al-Khattâb que fut institué le rite de l’âdhân. De même, la détermination de la position de la Nuit du Destin durant les sept derniers jours du mois de Ramadan a-t-elle été le résultat d’une série de rêves de Compagnons en ce sens, avalisée ensuite par le Prophète. Il arrivait que le songe du Prophète et celui d’un autre croyant fussent en concordance...

Bref, il existait comme une suffusion onirique collective dont Muhammad était en quelque sorte le pivot et le garant, mais non le seul acteur. D’ailleurs, cette manière d’inspiration collective par le rêve se confirma dès le décès du Prophète. Selon la Sîra, les Compagnons, perplexes et divisés quant au mode de lavage du corps de Muhammad après son décès inattendu, furent endormis ensemble et entendirent alors tous une voix leur donnant l’instruction précise. Passée la période fondatrice de la religion musulmane, les messages oniriques continuèrent de jouer un rôle dans la vie spirituelle des croyants, voir de toucher de façon discrète et incidente les élaborations juridiques ou théologiques (cf les récents travaux de Leah Kinberg cités en Bibliographie).

Le sommeil, nocturne en particulier, représente par conséquent un moment grave dans le quotidien des hommes. Il peut en effet devenir le moment de la visitation d’un ange, voire de Dieu Lui-même. C’est cette éventualité - jointe à la crainte a contrario d’une présence démoniaque à ce moment là - qui explique entre autres raisons la complexité des débats autour des gestes rituels précédant l’endormissement ou suivant le réveil : ablutions, récitations de versets coraniques et de prières propitiatoires, actes prophylactiques. Des gestes précis accomplis par le Prophète avant de s’endormir ont été rapportés par le hadîth en assez grand nombre. Il semble que Muhammad ait pu en adopter de différents suivant les jours et les circonstances ; enfin il est difficile d’évaluer dans quelle mesure il souhaitait que les autres croyants s’y conformassent. Ces pratiques sont bien sûr liées aux questions de pureté rituelle. Mais la nécessité d’une telle pureté renvoie à son tour au rapport du croyant avec les êtres du monde surnaturel, notamment avec les anges ; l’impureté attirant quant à elle la présence et le contact du démon. On peut même relever que, d’une certaine manière, le sommeil, la rencontre avec l’ange du rêve représente comme une préfiguration de la mort (cf Coran XXXIX 42), d’où la solennité des rituels intimes encadrant cette période nocturne décrits dans les recueils de hadîths. A tout le moins ces rituels ont-ils eu le bénéfice de prémunir certains croyants contre la terreur des cauchemars, selon des hadîths cités dans les mêmes chapitres.

Ceci dit, tous les rêves vécus durant le sommeil ne comportent pas la même charge symbolique ou religieuse. Le hadîth et à sa suite les docteurs de la Loi ont établi une classification entre les différentes formes de rêves, afin d’entourer de conditions précises celles dont le contenu pourrait se prévaloir d’une source surnaturelle. Cela commence par une spécification de certains termes. Le hulm désignera désormais le rêve d’origine passionnelle ou démoniaque, notamment mais non exclusivement d’ordre sexuel. Le rêve véridique, lui, correspondra à la ruy’â : ’La ru’yâ vient de Dieu, le hulm de Satan’, dit le hadîth à propos de cette distinction entre deux termes utilisés pourtant souvent comme synonymes en arabe ancien. Al-ru’yâ sera d’autre part distinguée de al-ru’yatu, vision à l’état de veille ; sauf quand l’exégèse l’exigera. Ainsi le terme ru’yâ advenant en Coran XVII 60 pour désigner sans doute le Voyage Nocturne est-il interprété comme une ru’yâ 'ayn, à l’état de veille, opposée à une ru’yâ manâm, songe à l’état de sommeil.

Trois catégories de rêves

Ensuite, les rêves seront classés globalement en trois catégories, suivant en cela un hadîth sahîh :

- 1) le discours inconscient que l’âme individuelle, renvoie à partir du vécu du jour précédent. Il n’est pas foncièrement nuisible, mais ne fournit pas de message utile non plus ;

- 2) les susurrements de Satan qui cherche à épouvanter ou attrister le dormeur, ou simplement à le perturber par des messages incohérents ;

- 3) Le rêve sain, envoyé par Dieu. Seul ce troisième type de songe - la ru’yâ au sens strict - intéresse la tradition religieuse.

Comment distinguer le rêve sain des images démoniaques ? C’est le rêveur qui, finalement, fait le départ ; s’il se réveille angoissé et mal à l’aise, le message vient de Satan. La vision d’origine céleste est quant à elle accompagnée de soulagement et de joie.

L’affirmation clé de l’onirologie musulmane se fonde sur une parole prophétique : ’Le rêve est la quarante-sixième partie de la prophétie’. Ce hadîth est rapporté avec de très nombreuses variantes. Certaines spécifient qu’il s’agit du rêve ’de l’homme pieux (sâlih)’ ou bien ’du croyant’, ou ’du Musulman’ pieux. Des fractions différentes sont mentionnées : il est la quarantième, la soixante-dixième partie de la prophétie (17 variantes !). D’autres hadîths également sahîh-s confortent la même idée. Muhammad aurait déclaré à son entourage qu’après sa mort, il ne resterait de la prophétie que les bonnes nouvelles apportées par les rêves vus par le croyant, ou vus pour lui par une autre personne.

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Une autre parole transmise sous de nombreuses variantes fait dire par ailleurs à Muhammad que celui qui le verra en rêve le verra vraiment, car Satan ne peut pas revêtir sa forme. Les cas de visions du Prophète durant le sommeil se sont multipliés après la mort de Muhammad, et perdurent jusqu’à nos jours. Enfin, un hadîth sahîh affirme qu’à la fin des temps, les rêves des Musulmans pieux deviendront à la fois beaucoup plus abondants et plus véridiques : comme si la Communauté se trouvait collectivement investie d’une inspiration divine, compensation de l’éloignement historique de la présence d’un prophète.

Alors, n’y aurait-il pas danger à voir se dessiner des phénomènes de ’prophéties’ incontrôlables, se réclamant de l’autorité même du hadîth ? Déjà les rêves véridiques avant l’Islam étaient reconnus comme valides - ne serait-ce que parce que certains d’entre eux auraient prévu l’avènement de l’Islam ; a fortiori devraient l’être ceux de Musulmans croyants. Dès les premiers siècles hégiriens, des hommes politiques et militaires ont usé et abusé de la publication de rêves annonçant leur victoire ou la justifiant après coup, et donnant souvent à l’événement le cachet prophétique ou providentiel qui manquait à l’évidence ; des illuminés ont proclamé leur divin
missionnement.

De ce fait, les traditionnistes et exégètes ont multiplié les interprétations limitant les risques de glissement. On trouvera des exemples éloquents et parfois sophistiqués de cet effort dans les commentaires des hadîths cités plus haut. Prenons par exemple la matière traditionnelle très ample réunie par Ibn Hajar al-'Asqalânî dans son Fath al-Bârî et par Qastallânî dans le Irshâd al-sârî. Selon certains avis, ’quarantième partie de la prophétie’ doit s’entendre au sens purement métaphorique, et : la partie d’une chose ne peut être identifiée à son tout, et : le hadîth ne concernait que les contemporains ou les proches de Muhammad, ou bien ne s’appliquerait en fait qu’aux prophètes...

Dans les interprétations les plus larges, les commentateurs admettent que ces messages oniriques puissent confirmer l’apport de la révélation (nubuwwa, non risâla) sans rien y ajouter de neuf toutefois. On conviendra qu’il est logique que des juristes généralement très réservés à l’égard de l’opinion indépendant (ra’y) à l’état de veille, se méfient de l’inspiration individuelle onirique. La vision du Prophète en rêve par des croyants est pareillement minimisée par les docteurs de la Loi, en sorte que celui qui aurait reçu une visite de Muhammad ne se sente pas investi d’une mission de type prophétique. Cette crainte de voir des illuminés ou des imposteurs abuser de l’argument du songe a conduit à valoriser un hadîth affirmant que ’celui qui mentira à propos de son rêve sera condamné au Jour de la Résurrection à nouer deux poils’, ce type de mensonge étant associé à celui de l’artisan fabriquant d’idoles. L’idole mentale créée par ce mensonge est en effet aussi pernicieuse qu’une divinité des polythéistes.

L’étude des textes coraniques relatifs aux manifestations oniriques sont bien sûr également riches d’enseignements, mais d’une façon plus indirecte car ne se rapportant pas aux rêves des simples croyants. Passons sur les mentions d’ordre polémique, les polythéistes mecquois qualifiant la révélation coranique de adghâth ahlâm (rêves chaotiques ; cf Coran XXI 5) ; elles ne concernent pas le rêve véridique, propos du présent article. Le Coran contient plusieurs passages évoquant la ru’yâ, mais il s’agit surtout des rêves de prophètes. Rien n’autorise a priori à y discerner des applications possibles aux expériences oniriques des croyants ordinaires. Mais, nous le verrons bientôt, les exégètes réagiront de façon assez diverses dans leur effort d’herméneutique. Par exemple à propos des passages suivants :

- les versets XXXVII 102-105 : Abraham se voit en rêve sacrifiant son fils. Il interprète cela comme un ordre, se prépare à l’exécuter avec l’assentiment dudit fils. La plupart des exégètes ne s’attardent pas sur la nature onirique de l’ordre divin - simple canal de révélation auquel d’autres modes de wahy auraient pu être substitués. Seul Fakhr al-dîn Râzî pose la question dans ses Mafâtîh al-ghayb : pourquoi certains messages ont-ils lieu par voie de rêve et non à l’état de veille ? N’y a-t-il pas là une modulation dans l’intensité ou l’intentionnalité du contenu révélé à ce moment ? Il note que certains rêves prophétiques sont envoyés ’en clair’ (p.ex. : Muhammad rêve qu’il rentre faire le pèlerinage à La Mecque, cf Coran XLVIII 27), d’autres représentent un événement qui ne se produira pas (le songe d’Abraham cité ici), d’autres enfin sont symboliques et demandent une interprétation (comme le rêve de Joseph voyant onze étoiles, le soleil et la lune se prosterner devant lui, cf Coran XII 4). Conclusion indirecte : les rêves de ces prophètes peuvent constituer mutatis mutandis un modèle pour ceux des croyants ordinaires, chez qui l’on retrouve également ces trois modalités de ru’yâ. La portée des considérations contenues dans le Mafâtîh al-ghayb est, on le constate, considérable pour la fondation de la science onirocritique en Islam.

- le récit de Joseph relaté dans la sourate XII 36 sq. Joseph interprète les rêves de ses deux compagnons de geôle, puis ceux de Pharaon - autant de personnages qui ne sont nullement des prophètes. Ces versets constituent un locus classicus des théoriciens de l’oniromancie. Là encore, c’est Râzî qui fournit les développements les plus circonstanciés sur la question de l’interprétation oniromantique de Joseph : est-elle d’origine divine, assimilable à une révélation ? Quelle est la valeur d’une oniromancie païenne, ou musulmane mais simplement inductive ? En quoi consiste précisément l’opération d’interprétation, de ta'bîr ? Pour lui, ces textes coraniques avalisent à l’évidence la science onirocritique, laquelle est également confirmée par l’effort d’élucidation intellectuelle. Ce qui n’entraîne pas l’idée que les onirocrites non prophètes disent le vrai dans chaque cas - loin de là.

- le rôle du verset XXXIX 42 est aussi à souligner : ’Dieu accueille les âmes au moment de leur mort ; il reçoit aussi celles qui dorment, sans être mortes. Il retient celles dont il a décrété la mort. Il renvoie les autres jusqu’à un terme fixé’. L’âme du dormeur, tout comme celle du défunt, est appelée à Dieu, mais elle est ensuite renvoyée dans le corps. Cette assertion justifie elle aussi que le sommeil permette le contact avec le monde surnaturel, car c’est au moment de cette assomption auprès de Dieu que, selon certaines traditions, des messages d’une vraie teneur spirituelle peuvent être confiés aux âmes. Et le réveil, note al-Baydâwî dans son commentaire coranique Anwâr al-tanzîl, ressemble par conséquent à une petite résurrection.

Synthèses doctrinales

On ne peut donc pas dire qu’une conception homogène du rôle des rêves se soit dégagée au cours des premiers siècles de l’Islam, mais plutôt que des visions plurielles aient été amenées à coexister sur une base dogmatique commune, alliant deux conceptions majoritairement acquises, car fondées sur plusieurs traditions prophétiques :

- l’âme (al-rûh) peut être attirée durant le sommeil vers le monde céleste, et là-bas recevoir communication de messages divins.

- l’âme, restant sur terre dans le corps du dormeur, peut recevoir un message par l’intermédiaire de l’ange du rêve qui descend des cieux.

Mais dans les deux cas, il est affirmé que c’est Dieu qui prend et garde l’initiative en instillant la foi dans le cœur du croyant ; en ce sens, remarque Ibn Hajar, l’état de sommeil ne se distingue pas de l’état de veille où c’est Dieu aussi qui accorde la foi et le jugement juste. Dans tous les cas, le degré d’obscurité du message onirique est dû à l’état de pureté du coeur du dormeur. Un pécheur, un mécréant ne pourront que rarement bénéficier d’un message vrai (cas de Pharaon), ils ne connaissent le plus souvent que des rêves incohérents et ténébreux. Parfois, c’est en effet à l’intervention de Satan qu’est imputé le brouillage de la vision et/ou de la parole reçue durant le sommeil. Généralement, le message véridique arrive au dormeur sous forme de parabole ou de symbole (mathal).

Comment l’ensemble de ces traditions ont-elles été intégrées dans les synthèses doctrinales les plus marquantes de l’Islam classique ? Parmi les auteurs principaux ayant traité de cette question spécifiquement, mentionnons :

- Abû Hâmid al-Ghazâlî, qui aborde la question du rêve dans le cadre de sa noétique et surtout de sa tentative de définir les rapports entre le corps et l’esprit (Ihyâ’ 'ulûm al-dîn IV ; Tahâfut al-falâsifa ; Madnûn) ainsi qu’à propos de sa doctrine mystique (Mishkât al-anwâr). Le miroir du cœur, poli par l’observance de la Loi et éventuellement par des pratiques soufies, peut entrer en contact avec les données inscrites dans la Table Gardée, durant le sommeil en particulier. A la différence de ce qu’affirment les falâsifa (ici, Avicenne) ce contact n’est pas induit nécessairement par l’état du coeur lui-même ; il dépend de l’intervention d’un ange missionné par Dieu, selon ce qu’enseigne la Tradition. Ce message surnaturel est ensuite traduit par l’imagination (khayâl) du dormeur. Mais cette imagination n’agit pas arbitrairement ; il existe une analogie générale entre le monde supérieur du Malakût et le monde terrestre, en sorte que les éléments sensibles (soleil, lune, arbres etc) peuvent exprimer sur un mode symbolique un contenu célestiel. Ghazâlî fonde ainsi indirectement les inductions des onirocrites. Le rêve est effectivement pour lui une partie de la prophétie, mais il ne peut se produire que dans le contexte d’une pratique rigoureuse et fervente de la foi dans la Tradition.

- Ibn Khaldoun a également exposé avec beaucoup de clarté la question du rêve, dans des termes qui se rapprochent finalement de la doctrine ghazâlienne (dans la Muqaddima, et dans le Shifâ al-sâ’il également). L’âme humaine, substance spirituelle, a potentiellement accès aux réalités universelles contenues dans les mondes célestes, mais bien sûr en fonction seulement de ce que le décret divin lui alloue. C’est ce qui se passe lors du sommeil, lorsque l’âme peut quitter l’enveloppe corporelle. Ces connaissances issues des universaux, al-kulliyyât (qui peuvent concerner le futur, d’où la possibilité de la divination) sont ensuite rendues à l’esprit du dormeur par l’imagination, en fonction des ’moules imaginatifs habituels’ (qawâlib ma'hûda) qui sont les siens. Ces ’moules’ varient en fonction de la réalité vécue du dormeur : un aveugle ne connaîtra pas les mêmes rêves qu’un voyant. Ibn Khaldoun s’attarde sur la question des connaissances supra-naturelles des devins, des saints et des prophètes, qui ont accès à ces universaux même à l’état de veille ; il trace plus généralement les fondements de l’oniromancie à qui il assigne des règles universelles, et qu’il classe parmi les sciences religieuses ('ulûm shar'iyya). Se fondant sur le hadîth et le témoignage de plusieurs Compagnons, il justifie l’apparentement du rêve véridique à la prophétie dans leur nature et leur processus mental, même si le degré perceptif du rêve reste très imparfait par comparaison.

- la tradition hanbalisante a elle aussi fourni plusieurs apports à la question des rêves. Elle a notamment abordé la question de l’apparition des défunts durant le sommeil. La manifestation de ce type de rêves est attestée pour des périodes fort anciennes (dès les premières générations de Musulmans, selon Ibn Sa'd ou Tabarî). Le hadîth en fait d’ailleurs déjà état : Muhammad n’aurait-il pas vu en rêve Waraqa ibn Nawfal, l’oncle chrétien de Khadîja, ou certains de ses contemporains, après leur décès
? Ce qui affirmait une manière de survie des défunts avant même la Résurrection générale. Ghazâlî a traité cette question dans un chapitre de son Ihyâ’ 'ulûm al-dîn, et a consacré à l’apparition onirique du prophète Muhammad en particulier un passage de son Madnûn.

Mais il existait bien avant lui une tradition moralisante et homélitique qui avait recueilli des récits de rêves en ce sens. Plusieurs auteurs de tendance hanbalite ont en particulier pris acte de ces témoignages. Il est très instructif d’analyser notamment le contenu du Kitâb al-Manâm d’Ibn Abî al-Dunyâ (m. en 894), accessible à présent grâce à l’excellente édition de L.Kinberg (E.J.Brill, 1994), qui regroupe 350 récits de rêves où apparaissent des personnes défuntes exposant au dormeur les conditions de leur survie dans l’au-delà et ce qui assure leur salut ou entraîne leur tourment. Ces récits, présentés tels des hadîths avec des chaînes de transmetteurs, présentent une portée morale, mais également théologique et politiques réelle. La piété et la vertu sont récompensées, comme la neutralité dans les combats entre Musulmans (les morts dans ces guerres n’ont pas statut de shuhadâ’ auprès de Dieu) et l’abstention dans les débats spéculatifs (condamnation des
Mu'tazilites notamment).

Dans une optique déjà plus doctrinale, la section du Kitâb al-rûh d’Ibn Qayyim al-Jawziyya (m. en 1350) consacré au rêve sain fournit une utile et claire synthèse des options de l’Islam traditionnel sur la question. Son optique est principalement eschatologique : il s’agit de montrer, en se fondant sur la Tradition et les témoignages oniriques, les rapports entre corps et esprit ; comment ils se séparent au moment du décès ; les modalités de survie des défunts pendant la période suivant immédiatement la mort physique ; les liens qu’ils gardent avec le monde qu’ils ont quitté, et notamment avec leurs proches.

Au total, on constate donc que, malgré de nombreuses divergences d’interprétation, un consensus s’est établi dans l’Islam sunnite s’agissant de l’importance de la vision onirique.

La plupart des docteurs admettent qu’il puisse exister des rêves suscités par des causes physiologiques, par des affleurements de données de la mémoire, par des excitations démoniaques des passions : mais tout cela n’entre pas dans la catégorie du rêve véridique, al-ru’yâ al-sâdiqa.

Il est professé que le rêve véridique est le vecteur d’une authentique inspiration surnaturelle, qu’il est ’une parole que ton Seigneur t’adresse durant le sommeil’ (hadîth) ; qu’il est possible de voir les défunts ordinaires, a fortiori les saints et les prophètes. Le prophète Muhammad peut apparaître en personne et réellement à des croyants lors de leur sommeil, mais l’explication de la nature de l’apparition varie selon les exégètes. Il est même confirmé que le croyant puisse voir Dieu, p.ex. dans l’éclat d’une lumière ou encore sous forme humaine (cf le hadîth al-ru’yâ ; le chapitre de la Risâla d’al-Qushayrî consacré au rêve ; et exemples dans la littérature soufie, comme le Kashf al-asrâr de Rûzbehân Baqlî, trad. et prés. par P.Ballanfat sous le titre Le dévoilement des secrets, Seuil, 1996).

L’onirocritique

A partir de tout ce qui précède se pose la question de l’interprétation des rêves. Car s’il arrive que Dieu envoie à un rêveur un message parfaitement clair, le fait reste rare voire exceptionnel. Dans la majorité des cas, le songe affleure à la conscience sous forme de symboles. Les interpréter, c’est effectuer l’opération de ta'bîr, de faire traverser le récit d’une rive à une autre : de la rive de l’image sensible, à celle du sens réel, de sa haqîqa.

Ici encore, c’est la littérature du hadîth qui fournit l’armature à cette discipline singulière qu’est l’onirocritique. Le Prophète a en effet joué souvent le rôle d’interprète de rêves, car les Musulmans venaient l’interroger sur leurs songes. La littérature du hadîth nous a laissé de nombreux exemples de ce genre de consultations. Parfois, Muhammad interprétait ses propres rêves : s’étant vu boire du lait en telle quantité qu’il en ruisselait de ses doigts et qu’il en offrit à boire à 'Umar, il expliqua à ses Compagnons qu’en l’occurrence, le lait désignait la science (al-'ilm). Il est hors de doute que le symbolisme coranique joua un rôle éminent à la fois dans le contenu des rêves et dans leurs interprétations.

A 'Abd Allâh ibn Salâm qui avait rêvé qu’il s’était accroché à une anse située au sommet d’une colonne dressée au milieu d’un jardin verdoyant, Muhammad répondit : ’'Abd Allâh mourra en tenant l’anse solide’. La référence coranique (verset II 256 ou XXXI 22) est ici tellement transparente que le hadîth ne l’explicite même pas. Une autre fois, 'Amr ibn al-'As, le futur conquérant de l’Égypte, lui aurait raconté qu’il s’était vu une nuit en train de sucer deux de ses doigts dont l’un était de graisse, et l’autre de miel. ’Tu lis les deux Livres, la Torah et le Coran’, lui aurait répondu Muhammad.

Les interprétations de rêves par Muhammad que nous a laissées la Tradition portent essentiellement sur des sujets religieux (l’au-delà), moraux, juridiques (état de pureté). Muhammad récusa comme étant des pièges ou des farces sataniques des rêves qui ne relevaient pas de ces registres : ainsi celui d’un Bédouin qui avait vu sa tête rouler devant lui, et qui l’avait reprise et remise à sa place. Muhammad refusa en l’occurrence d’en fournir une explication. Est-ce à dire que l’oniromancie musulmane devait se cantonner aux thèmes religieux essentiellement
? La réalité historique qui s’est dessinée par la suite au cours des siècles formateurs de la pensée musulmane a répondu à cette question de façon nuancée. Schématiquement, on peut distinguer :

- une onirocritique à portée essentiellement religieuse et morale, qui s’est diffusée dans les milieux piétistes. Elle est représentée de façon exemplaire dans le rôle joué par les rêves dans l’éducation spirituelle du novice soufi. Le murîd raconte à son maître les rêves importants qu’il a reçus, et le maître peut en fonction de ces messages donner des avis et directives précis. Les grands maîtres soufis ont eux-mêmes raconté des récits de visions parfois somptueuses et d’une vaste portée spirituelle : que l’on pense à ceux de Hakîm Tirmidhî (cf son autobiographie spirituelle Bad’ sha’n ... al-Hakîm al-Tirmidhî), de Rûzbehân Baqlî (cf son Kashf al-asrâr cité plus haut), d’Ibn 'Arabî (cf C.Addas, Ibn 'Arabî ou la quête du Soufre Rouge, Gallimard, nrf, 1989) ou de Najm al-dîn Kubrâ (cf ses Fawâ’ih al-jamâl, éd. et comm. par F.Meier, Akad. Wiss. Lit., Wiesbaden, 1957). Ces rêves s’apparentent souvent à des sortes de révélations de portée individuelle ; ils peuvent parfois annoncer en toute clarté le message dont ils sont porteurs, ou bien celui-ci peut être dévoilé plus tard par une vision ou un événement ultérieurs.

- une onirocritique plus populaire, et centrée autour de questions beaucoup plus profanes. Dès les premiers siècles après l’Hégire, l’activité des onirocrites aboutit à la constitution d’amples recueils constitués par regroupements thématiques. Nous ne pouvons ici que renvoyer aux travaux de Toufic Fahd à leur endroit (cf Bibliographie, infra). Particulièrement diffusés et consultés jusqu’à nos jours dans les pays de langue arabe sont par exemple Al-Qâdirî fî al-ta'bîr d’al-Dînawarî (m. vers 1009), Al-ishârât fî 'ilm al-'ibârât d’Ibn Shâhîn (m. en 1468), le Ta'tîr al-anâm, dictionnaire oniromantique dû à 'Abd al-Ghanî al-Nâbulsî (m. en 1731), et surtout le Tafsîr al-ahlâm al-kabîr (trad. fr. de Youssef Seddik Le Grand Livre de l’interprétation des rêves, Paris, Al-Bouraq, 1993). Attribué au Suivant Muhammad ibn Sîrîn (m. en 728) lui-même, ce dernier correspond en fait à une compilation assez tardive due sans doute à Abû 'Alî al-Dârî (15e siècle ?).

L’ensemble de ces textes tranchent nettement face aux interprétations mystiques des soufis par exemple. Les interprétations se rapportent le plus souvent à la vie quotidienne, au mariage et aux enfants, aux rapports avec les puissants... Est-ce à dire qu’ils n’auraient à occuper qu’une place marginale ou suspecte dans la cité musulmane
? La réponse est ici négative. Les onirocrites ont toujours su se prévaloir de sources scripturaires et occuper leur place dans l’espace social de l’Islam sunnite. Les rêves de ses compagnons de geôle interprétés par Joseph (Coran XII 36 sq) n’avaient-ils pas un contenu simplement profane
? Le prophète Muhammad n’a-t-il pas accepté d’interpréter des rêves de portée pratique, concernant une épidémie par exemple
?

Plus profondément : est-il possible d’isoler dans la vie personnelle du croyant ce qui relève de la piété pure, d’une sphère de vie uniquement profane
? Tous ces recueils contiennent du reste de nombreuses exégèses de portée morale ou religieuse, dès lors que le rêveur a vu des personnes (prophètes, Compagnons, saints) ou des symboles (rituels, lieux sacrés...) chargés en ce sens durant son sommeil.

La démarche interprétative des onirocrites

Quelques mots sur la démarche interprétative des onirocrites musulmans. Les symboles oniriques étant selon eux issus de la Table Gardée, donc homogènes entre eux et non arbitraires, il devait être possible de les répertorier, de fonder un savoir et une démarche herméneutique. Une première attitude aura été de chercher tout ce qui, dans la Tradition scripturaire ou dans l’usage des premiers Compagnons et Suivants, permettait de fournir des bases à la translation de sens : ainsi le lait renvoyant à la science, comme nous l’avons vu à propos du hadîth cité plus haut. Les données scripturaires constitueraient des bases (usûl) pour les développements (furû') de l’onirocritique, qui se construirait ainsi un peu à la manière du droit.

Mais la pratique a bien vite montré qu’un symbole onirique ne porte pas un sens unique et univoque ; il ne prend son sens que dans la relation aux autres éléments du rêve. Ainsi le lait, dans un autre contexte onirique, prendra-t-il des significations bien différentes, notamment celles de l’argent sous diverses formes ; il s’agira de savoir si c’est du lait de brebis, de chamelle, de bête sauvage etc qui a été vu. Les répertoires des grands onirocrites se sont gonflés de nouveaux matériaux au fur et à mesure que la pratique s’étoffait. Cela a-t-il entraîné rigidité et sclérose dans l’interprétation au fil des siècles ? La chose n’est pas sûre. D’abord, parce qu’il est peu probable que les véritables onirocrites se soient mis à appliquer ces livres comme des recueils de recettes : ces textes fournissaient des repères à l’interprétation, non des cadres immuables.

Le principe de base mis en valeur par les théologiens est bien, nous l’avons vu, que le message issu du monde céleste est reçu par le rêveur par l’intermédiaire de sa faculté imaginative (khayâl) ; celle-ci dépend de sa constitution, de son éducation, de la pureté morale de chaque sujet. Dès lors, chaque rêve revêtira forcément une forme originale, propre à la personne qui l’a vécu.

Sommes-nous pour autant autorisés à discerner dans cet effort d’interprétation des rêves comme une lointaine préfiguration de la démarche psychanalytique
? Dans son L’oniromancie d’après Ibn Sîrîn (Damas, 1958), A.Abdel Daïm avait proposé des développements suggestifs sur les parallèles entre l’approche freudienne et celle du grand Tafsîr al-ahlâm. Il notait ainsi chez Ibn Sîrîn la prise en compte de l’association de plusieurs images apparemment sans lien entre elles ; l’explication des images par assonance, jeu de mots, étymologie ; plus généralement l’importance donnée au désir - notamment sexuel - et aux craintes profondes du rêveur ; enfin l’usage d’un réseau de symboles parfois proches des images oniriques rencontrées par les psychanalystes (Jung est également cité) au cours de leur pratique clinique.

Il me semble hors de doute que les traités onirocritiques de langue arabe peuvent fournir un matériau d’une richesse immense à une réflexion analytique qui, dans le champ des civilisations orientales, en est encore à ses balbutiements.

Mais il n’en reste pas moins que le rêve, en psychanalyse freudienne en tout cas, traduit une expérience rigoureusement individuelle fondée sur le refoulement du désir, et son imagerie dépendra pour beaucoup de chaque parcours particulier. La tradition musulmane, elle, insistera beaucoup plus sur la transcendance de l’image onirique. A l’exemple du prophète Muhammad, elle aura tendance à éloigner ce qui semble trop personnel pour donner du sens socialement parlant (cf le rêve évoqué plus haut du Bédouin qui avait vu sa tête rouler devant lui, et qui fut attribué à l’influence de Satan). L’image onirique, dans les textes musulmans, est transpersonnelle tout en se modulant en fonction des différents cas individuels. On pourrait la comparer à la lettre d’un alphabet qui possède une forme stable (transcendante, non arbitraire) mais dontl’associationà d’autres lettres engendre des significations sans cesse renouvelées. Un arbre, un oiseau, une montagne entrent ainsi dans une morphologie et une syntaxe ’célestiels’ puisque rapportés aux rythmes du Malakût.

Et l’on comprend dès lors combien est ténue chez les prophètes, saints et visionnaires la frontière entre la conscience à l’état de veille et celle du rêveur. Najm al-dîn Kubrâ raconte que, lors d’une vision fulgurante, il perçut soudainement les constellations dans le ciel nocturne comme un vaste alphabet déroulant un message cosmique devant les yeux des hommes. Où se situent ici le rêve et son symbole, et où l’éveil et ses réalités ?

Pierre LORY (EPHE)

http://oumma.com/Les-reves-dans-la-culture

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